De quoi ça parle ?
Du passage à l’âge adulte d’un jeune napolitain, Fabietto Schisa (Filippo Scotti), et des évènements qui vont bouleverser la vie de sa famille, liés aux exploits de Diego Maradona.
Tout commence à l’été 1984, quand se propage la rumeur de la signature imminente du footballeur argentin dans le club local, alors une modeste équipe de séria A italienne. Fabietto est surexcité à l’idée de voir le meilleur joueur du monde évoluer dans le club de sa ville, semaine après semaine. Il n’échangerait ce plaisir contre rien au, même contre une nuit avec une jolie femme. Et pourtant, ses hormones sont en ébullition. Ses sens le taraudent avec véhémence, comme tous les jeunes de son âge, impatients de perdre leur virginité.
De l’été 1984, on passe en un clin d’oeil à l’été 1986. Un été de Coupe du Monde de football. Si les autres villes d’Italie vibrent pour la Squadra Azzura – du moins avant son élimination par la France en 1/8èmes de finale – les napolitains, eux, sont tous derrière l’Argentine, derrière Diego, leur idole, même quand celui-ci marque un but de la main contre les anglais en quart de finale. De la triche? Mais non! C’est la “main de Dieu”!
Le frère aîné, de Fabietto, Marchino (Marlon Joubert), rêve plutôt de Federico Fellini, qui est en ville pour organiser un casting de figurants. En tant qu’apprenti acteur, il veut faire carrière et voit dans l’arrivée du Maestro une opportunité de démontrer son talent. En attendant, il ne renonce pas à faire l’éducation culturelle de Fabietto, qui n’a vu que quatre films dans sa vie. Mais chaque fois qu’ils s’apprêtent à regarder la cassette VHS de Il était une fois en Amérique, un événement familial ou l’irruption d’un voisin vient contrarier ce beau projet…
Il y a d’abord l’obligation d’aller protéger sa tante Patrizia (Luisa Ranieri) des coups de son mari, jaloux et violent. Il faut dire que la jolie brune est un peu dérangée. Elle voit des saints partout et exhibe un peu trop les siens (de seins), sans aucune pudeur, à la grande satisfaction de Fabietto. Le jeune homme et les siens doivent ensuite faire face aux irruptions incessantes de la voisine, une vieille baronne qui vit avec son fils attardé, ou d’autres oncles et tantes envahissants, sans compter les réunions de famille autour de la matriarche acariâtre, qui balance vacherie sur vacherie. Et quand l’agitation ne vient pas de l’extérieur, ce sont ces parents qui la génèrent en interne, soit par les canulars orchestré par sa mamma (Teresa Saponangelo), soit par les crises de couple provoquées par la liaison que son père (Toni Servillo) entretient avec une de ses assistantes. En gros une famille napolitaine ordinaire : haute en couleurs, excessive, bruyante, passionnée, pour qui le chaos est une forme d’équilibre.
Mais ce bel équilibre va subitement être remis en question cette année-là. Après la plus mauvaise blague de ses parents, Fabietto perd son innocence et se voit dans l’obligation de faire des choix cruciaux pour la suite de son existence. Bien que devant indirectement cette chance à la “main de Dieu”, le jeune homme commence à se désintéresser du football et se passionner pour la mise en scène cinématographique. La rencontre avec un metteur en scène grognon, mais brillant, confortera cette envie de partir à Rome et de tenter sa chance dans une carrière artistique.
Pourquoi “El pibe de oro” rime avec “Leone d’Oro” ?
Parce que Fabietto est évidemment l’alter-ego de Paolo Sorrentino. Le cinéaste italien raconte sa jeunesse napolitaine et les évènements tragiques qui l’ont incité à devenir ce réalisateur talentueux, à l’imagination foisonnante. Il s’agit donc de son film le plus intime, le plus personnel, et donc le plus touchant.
Avec E Stata la mano di Dio, on comprend mieux d’où vient la mélancolie et la folie douce qui semblent imprégner chacun de ses films, le regard curieux et amusé que le cinéaste italien porte sur le monde. Tout l’univers de Sorrentino se retrouve dans ce long-métrage, qui procède pourtant à l’inverse de la méthode du cinéaste. Habituellement, Sorrentino utilise la pure fiction pour y projeter un peu de lui-même, sa vision des choses, ses sentiments personnels. Ici, il part de souvenirs de jeunesse réels, heureux ou moins heureux, qu’il embellit ou accentue pour les rendre plus cinématographiques et leur donner une consistance quasi-irréelle, entre souvenirs et fantasmes.
Certains évènements sont bien réels, d’autres ont probablement été un peu retravaillés pour donner un effet comique ou dramatique supplémentaire, une épaisseur toute “fellinienne”.
Comme son glorieux aîné, Sorrentino a le don de croquer des personnages avec très peu d’éléments, en appuyant certains traits et en éludant certains autres. Mais il ne verse jamais dans la caricature facile, car le regard qu’il porte sur ses personnages est toujours plein de tendresse ou de respect. Il dépeint leurs mauvais côtés ou leurs défauts, mais les rend toujours très humains.
Il partage aussi avec le Maestro le goût pour les femmes pulpeuses et les atmosphères oniriques, faisant du cinéma un vrai territoire de fantasmes, propice à l’évasion, à la réflexion ou à l’introspection. Si E stata la mano di Dio est moins aérien et psychanalytique que La Grande Bellezza ou Youth, Sorrentino ne résiste pas à la tentation de laisser son style s’exprimer lors de quelques belles séquences, comme son générique inaugural, qui montre la ville comme une ruche imposante surplombant la mer, ou la vision de Patrizia, qui, alors qu’elle attend sagement le bus, accepte de suivre un individu un peu louche se présentant comme San Gennaro (le Saint Patron de Naples) dans un curieux palace napolitain. Là, à côté d’un chandelier effondré, mais encore allumé, se tient un enfant-moine (issu de légendes locales) qui se propose d’exaucer ses voeux de grossesse. Une séquence un peu folle, que la plupart des personnages considèrent d’ailleurs comme la dernière divagation d’une femme complètement cinglée, à l’exception notable de Fabietto, qui se persuade que sa tante préférée a bien vécu cette virée improbable.
Parmi les autres moments étranges, on peut citer la scène où l’adolescent est finalement déniaisé – on taira comment – qui baigne dans un climat presque fantastique, plus près de l’ambiance d’un film de Mario Bava que de celle d’une “commedia sexy all’italiana” des années 1970, ou l’incroyable virée nocturne du jeune protagoniste sur une île de Capri désertée, à l’exception notable de l’homme le plus riche du monde et sa compagne top-model.
La mise en scène s’emballe aussi avec de beaux effets de parallélisme dans le montage, comme la folle course de la voiture des frères Schisa, en route pour les urgences, qui évoque les images d’archives, diffusées précédemment, de la fameuse chevauchée de Maradona dans le camp anglais, dans ce même match mythique de Coupe du Monde marqué par la “main de Dieu”.
Le film séduit aussi par son humour, plus marqué que dans les autres films du cinéaste. Les membres de la famille Schisa sont tous des personnages irrésistibles. La mère de Fabietto, qui aime à inventer les canulars les plus tordus, comme faire croire à une voisine mythomane que Franco Zeffirelli l’a sélectionnée pour jouer le rôle de La Callas ou piéger son mari en le mettant aux prises avec un monstre issu du folklore local. Son père, est expert en commentaires fielleux, notamment quand il s’agit de dézinguer le futur mari d’une de ses nièces, un “jeune homme” aussi atypique que le reste de la famille. Le vieil oncle est un misanthrope qui regarde de haut tout ce petit monde et la doyenne est une gorgone qui tyrannise l’ensemble de l’assemblée. Ils sont tellement affreux, sales et méchants qu’ils feraient passer les personnages du film éponymes de Scola pour des gens courtois et civilisés.
On rit beaucoup, devant ces aventures hautes en couleur, avant que l’émotion ne vienne nous cueillir à froid et ne mène le film vers un périple initiatique plus feutré.
E stata la mano de Dio est assurément un des sommets de la carrière du cinéaste italien. On pourrait presque le voir comme un film-testament, même si on souhaite à Sorrentino de continuer encore longtemps à réaliser ses rêves de cinéma. En tout cas, il constitue le point d’équilibre entre certains de ses premiers films, comme L’Ami de la famille ou L’Homme en plus, et sa veine plus poétique, comme La Grande Bellezza ou Youth, sa jeunesse napolitaine et sa maturité romaine – et l’amour qu’il porte aux deux villes. Bien sûr, son acteur-fétiche, Toni Servillo, à qui il confie le rôle de patriarche de cette drôle de famille, est lui aussi de la fête, tout comme l’ombre de son mentor, Antonio Capuano, cité dans le film.
Une réussite de plus pour Netflix, même si on regrette encore et toujours qu’une telle pépite soit cantonnée à de petits écrans…
Prix potentiels ?
Après les projections des nouvelles oeuvres de Pedro Almodovar (avec qui Sorrentino a été juré au Festival de Cannes) et de Jane Campion, cela fait plaisir de voir que les grands cinéastes continuent de proposer des films aboutis et ambitieux, auxquels il procure leur patte unique, leur personnalité et leur style singulier. Il sera difficile de les départager car chacune d’elle possède ses propres qualités. Le film de Sorrentino, qui est probablement celui qui a le plus de chance de fédérer un large public, a ses chances dans la chasse au Lion d’Or. Si la “Main de Dieu” flotte toujours au dessus de sa destinée, elle peut toujours tapoter sur l’épaule de Bong Joon-ho, ou lui envoyer le Petit Moine pour lui indiquer pour qui voter. Tout autre prix serait possible, à l’exception des prix d’interprétation masculine et féminine principaux. Le jeune Filippo Scotti pourrait en revanche prétendre au Prix Marcello Mastroianni du Meilleur espoir.
Contrepoints critiques
”Malheureusement, E stata la mano di Dio n’atteint pas les sommets qu’a déjà pu toucher Sorrentino par le passé, mais la sincérité de ses intentions et le côté personnel de son film touchent beaucoup malgré tout. . »
( Thibault Van de Werve – Cinopsis)
“Ormai l’ispirazione a Fellini è anche fin troppo dichiarata. Sorrentino ne prende solo i pregi per fare il suo Amarcord, che è una bellissima lettera d’amore/odio per Napoli e per il cinema.”
(À l’heure actuelle, l’inspiration pour Fellini est trop manifeste. Sorrentino ne prend que le fond pour faire son Amarcord, qui est une belle lettre amour/haine pour Naples et pour le cinéma)
(@Lu_Dalena sur Twitter)
Crédits photos : copyright Netflix