De quoi ça parle ?
Ellie (Thomasin McKenzie), jeune orpheline fascinée par l’ambiance des années 1960, quitte ses Cornouailles natales pour réaliser son rêve et intégrer une prestigieuse école de stylisme londonienne.
Mais elle se heurte rapidement à la méchanceté de ses camarades et colocataires, qui méprisent son côté provincial et son goût pour la musique et les vêtements démodés. Elle décide donc de louer une chambre de bonne chez une vieille dame (Diana Rigg, dans son dernier rôle) habitant en plein quartier de Soho. Les règles sont strictes : interdiction de fumer et de recevoir des hommes dans sa chambre. Aucun problème pour Ellie, qui est une fille très sage, évitant les sorties et la compagnie des garçons. La chambre, vieillotte, ne la gêne pas, puisqu’elle aime le vintage. Et même le clignotement de l’enseigne du bistrot voisin, près de sa fenêtre, ne la perturbe pas, car il lui rappelle l’ambiance du “Swinging London”. Et d’ailleurs, c’est là que la conduisent ses rêves, nuit après nuit. Elle se retrouve propulsée dans les années 1960, dans la peau d’une certaine Alexandra dite “Sandie” (Anya Taylor-Joy), jeune débutante prête à tout pour devenir chanteuse.
Ces rêves inspirent fortement la jeune styliste. Ellie commence à s’habiller et se coiffer comme son alter-ego fantasmé, bien plus confiante et délurée qu’elle, et se lance dans la création des vêtements qu’Alexandra porte dans ses rêves.
Mais peu à peu, les rêves se font cauchemars. Ellie découvre que la vie de son double rêvé n’est pas aussi belle que prévue et qu’elle devient même de plus en plus sordide au fil des nuits. Ces cauchemars récurrents finissent par entamer son optimisme et déteignent sur son quotidien, l’incitant à s’interroger sur sa santé mentale. Comment décrypter ces rêves? Que se cache-t-il derrière le mystère d’Alexandra? Sont-ce seulement des rêves ou des hallucinations? Ellie souffre-t-elle de schizophrénie, comme sa mère défunte, ou doit-elle chercher ailleurs les réponses à ses questions?
Pourquoi on frissonne de plaisir?
Parce qu’on aime les thrillers compliqués, qui laissent planer le doute sur l’état mental de l’héroïne et ménagent leur lot de surprises et de rebondissement, ainsi que les ambiances angoissantes et mystérieuses, flirtant avec le genre fantastique.
Bien que parfois un peu tiré par les cheveux, le scénario de Last night in Soho répond à tous ces critères, et fait monter le suspense crescendo à l’aide de belles séquences oniriques et de séquences angoissantes à souhait, qui évoquent autant les films de la Hammer des années 1960 que les thrillers fantastiques italiens stylisés de Dario Argento, des Frissons de l’angoisse à Suspiria.
Thomasin McKenzie, vue dans Leave no traces de Debra Granik, aide beaucoup à créer cette ambiance anxiogène en incarnant la jeune Ellie, étudiante un peu naïve, tourmentée par un passé douloureux – la mort de sa mère – et effrayée autant qu’attirée par la vie londonienne et ses côtés obscurs. Sa fragilité et sa spontanéité la rendent immédiatement sympathique et attachante. C’est par son biais que l’on pénètre dans cette curieuse intrigue, fascinés et émerveillés, comme elle, par l’ambiance onirique du Londres des sixties, et c’est grâce à sa performance à fleur de peau, fiévreuse et hallucinée, que l’on peut adhérer au virage de l’intrigue vers le thriller horrifique.
Mais ce qui permet vraiment d’apprécier ce film, c’est la mise en scène et le montage constamment inventifs d’Edgar Wright, qui parviennent d’emblée à donner au film un ton singulier et imposent un tempo enlevé qui ne faiblira plus jusqu’au dénouement.
Dès le premier plan, où Ellie nous est présentée en train de danser dans la maison de sa grand-mère, il en met plein la vue avec ses mouvements de caméra élégants, d’une exquise fluidité, sons sens du montage et son utilisation remarquable des musiques, alternant tubes des années soixante et musique moderne avec la même maestria que dans Baby Driver, son précédent long-métrage. Au passage, il rend hommage à tout un pan du cinéma hollywoodien, de Diamants sur canapé à E.T. et place son long-métrage sous le signe du divertissement de qualité.
Mais là où le cinéaste se montre brillant, c’est sur toutes les séquences oniriques. La première plongée fantasmée dans le Swinging London est une petite merveille de mise en scène, avec son glissement de la réalité vers le rêve dans un mouvement de caméra assez impressionnant, sa descente en plan-séquence dans la salle de spectacle du Café de Paris, ses jeux de reflets incroyables. C’est visuellement sublime et impressionnant sur le plan purement cinématographique.
Les séquences où l’héroïne est harcelée par des hommes mystérieux et sans visage qui tentent de l’agripper et l’entraîner dans leur enfer sont absolument terrifiantes et dignes des meilleurs films horrifiques, toujours grâce au brio de la mise en scène, qui nous plonge littéralement dans les cauchemars d’Ellie.
Certains festivaliers snoberont peut-être une oeuvre qui ne porte aucun message politique, aucun sens caché, et qui ne cherche pas à révolutionner le Septième Art avec une proposition de cinéma radicale et des expérimentations audacieuses. Last night in Soho est un pur divertissement, où la mise en scène, soignée, se met au service du récit. C’était déjà le cas de tous les films précédents d’Edgar Wright, qui se distinguaient par une parfaite maîtrise des codes des genres abordés (parodie de film de zombie, de film d’action, ou de science-fiction, film de super-héros ou thriller) et un tempo enlevé.
Si le film avait été en compétition, on ne l’aurait peut-être pas vu en tête des pronostics pour le Lion d’Or, mais hors-compétition, cela fait très plaisir de pouvoir le découvrir sur le Lido!
Contrepoints critiques
”Maybe there’s something in the water out here in Venice, I don’t know. But I fell hard for “Last Night in Soho.” It’s an estimable, genuine horror movie that also manages to say something real—without trying to “elevate” the genre.”
(Roger Ebert – RogerEbert.com)
”La magnifique bande-son mélangeant des classiques des années 60 de l’époque avec des motifs musicaux actuels fournis par le compositeur fréquent de Wright, Steven Price, en fait le meilleur film sonore de l’année.”
(France 24)
Crédits photos : Affiche US du film, telle que présentée à La Biennale Cinéma 2021 – Photo officielle fournie par la Biennale Cinema