De quoi ça parle ?
D’une équipe de spéléologues italiens partie, en 1961, réaliser la cartographie du gouffre de Bifurto, l’un des plus profonds du sud de l’Italie.
Patiemment, les explorateurs progressent dans les profondeurs, creusant la roche et rampant dans des cavités étroites, pour avancer de plus en plus loin sous la surface de la Terre.
Au-dessus d’eux, un vieux paysan agonise lentement, allongé sur son lit.
Et autour d’eux, la vie continue. Les enfants jouent, les vaches paissent. La nature continue son cycle des saisons.
Pourquoi on ne peut pas être vache avec le film?
Parce qu’il s’agit d’une proposition de cinéma atypique. Les films de Michelangelo Frammartino sont des oeuvres contemplatives, au rythme très lent, s’affranchissant des règles de la narration et des dialogues pour essayer de dialoguer avec le spectateur par la seule grâce des images. C’était déjà le cas dans son précédent film, Il Quattro Volte, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2010, qui filmait avec poésie les interactions entre les différents éléments naturels coexistant dans un petit village de Calabre – hommes, animaux, végétaux et minéraux. Il était déjà question de la mort d’un vieux berger et des cycles naturels permettant à la vie de continuer, sous d’autres formes, chaque chose trouvant sa place dans l’univers et le temps.
C’est un type de cinéma radical qui peut séduire par sa poésie, son originalité et sa profondeur. Mais c’est aussi un type de cinéma exigeant, qui place le spectateur dans la situation d’un funambule en équilibre précaire, risquant constamment de perdre le fil philosophique des images ou de sombrer dans l’ennui le plus total.
Il Quattro volte avait failli nous rendre chèvre en nous mettant dans une situation inconfortable, à la fois fascinés par la beauté des images, le lien que le cinéaste parvenait à créer entre elles, et contraints de lutter contre le sommeil, car bercé par ce tempo très lent, sans véritable enjeu dramatique.
Il Buco a provoqué le même effet. C’est un film où il ne se passe pas grand chose de concret, la caméra alternant juste les plans montrant la progression des spéléologues dans la cavité – en gros, des silhouettes rampant dans le noir, juste éclairés par des lampes au tungstène – ceux décrivant le quotidien du vieux paysan, puis ceux où il est allongé sur son lit de mort, et quelques plans de la vie du village. Pour découvrir la vraie beauté du film, le spectateur va devoir faire des efforts pour tenter de trouver du liant entre les images et saisir le propos du cinéaste. En fait, Frammartino filme deux longs voyages à l’issue frustrante. Celui des spéléologues, qui est arrêté par la roche, avec l’impossibilité de progresser plus avant, et celui de la vie du vieil homme, des années de routine frugale et solitaire, avec vaches et montagnes comme seule compagnie qui cessent d’un coup. Mais il y a dans ces deux voyages une grande beauté, nimbée d’un profond mystère : Qu’y a-t-il au centre de cette Terre, dans ces abysses sans fond? Et qu’y-a-t-il après la mort? Les questions resteront sans réponse, si ce n’est cet espoir d’être gouvernés par des forces – cosmiques ou divines – qui nous dépassent, et qui sont probablement évoquées dans l’ultime plan du film.
Le récit peut aussi se voir comme une ode à la lenteur, à la spiritualité aux forces souterraines, cachées, par opposition à une société où tout va trop vite et tout repose sur le paraître, la consommation. C’est peut-être pour cela que le cinéaste italien montre les images d’archives louant l’achèvement d’un gratte-ciel milanais, symbole des années du “Miracle économique” italien, mais aussi de la vanité humaine. En filmant ce coin reculé de Calabre où les hommes vivent au milieu des animaux, des arbres et des pierres, dominés par des paysages majestueux et surplombant des grottes souterraines insoupçonnées, il remet l’être humain à sa place dans l’univers, dérisoire et essentiel à l’équilibre du monde.
En essayant de voir le film avec ces clés de lecture, et à condition d’accepter ces partis-pris de mise en scène que sont la langueur monotone du film et son refus de la narration conventionnelle, certains spectateurs pourront saisir la grande force poétique et philosophique de Il Buco. Pour les autres, l’expérience risque d’être beaucoup moins convaincante.
Prix potentiels ?
Un Lion dort (si le jury s’est laissé bercer par le tempo lénifiant du film) ou un Lion d’Or (si l’expérience mystique les a touchés).
On miserait plus volontiers sur un Grand Prix du Jury ou un Lion d’argent de la mise en scène, s’il y a la volonté de récompenser un cinéaste totalement atypique.
Contrepoints critiques
”Il Buco, c’est Voyage au centre de la Terre dans sa version la plus brute, pure, sensorielle et mystique. Une descente énigmatique dans les entrailles du monde, à la beauté naturelle et presque sans dialogue. Épatant”
(Alexandre Janowiak – Ecran Large, sur Twitter)
”Non c’è, in breve, mise en abyme, le considerazioni antropoculturali, ovvero socioeconomiche, sono superficiali, comuqnue programmatiche e schematiche.”
(Bref, il n’y a pas de mise en abîme. Les considérations anthropoculturelles, c’est-à-dire socio-économiques, sont superficielles, communes programmatiques et schématiques.)
(Federico Pontiggia – Cinematografo)
”I’ll confess, Il Buco by Michelangelo Frammartino is one of the most boring movies I’ve seen. 1h and a half without dialogues, safe for a few words in Calabrian dialect. We live in 2021. Enough with neorealism features, please.”
(@MrTudorLeonte sur Twitter)
Crédits photos : Photos officielles fournie par La Biennale Cinema