De quoi ça parle ?
Alice (Charlotte Gainsbourg), ses enfants et son frère Neil (Tim Roth) sont en vacances à Acapulco dans un hôtel de luxe.
Tout le monde semble bien profiter de ce séjour au calme, entre baignades et farniente, quand un appel les contraint à rapidement rentrer à Londres. La mère d’Alice et Neil vient de décéder brusquement et il faut s’occuper des obsèques et de la succession, notamment des nombreuses entreprises familiales. A l’aéroport, Neil réalise qu’il a oublié son passeport à l’hôtel et ne peut embarquer avec ses proches. Mais au lieu de retourner chercher le document, il part s’installer dans un autre hôtel, moins luxueux et continue ses congés comme si de rien n’était, mentant à ses proches sur sa situation et restant loin des problèmes familiaux.
Pourquoi on aime assister à ce coucher de soleil ?
Avec un long-métrage entier centré sur un quinquagénaire neurasthénique et vaguement dépressif, ses vacances immobiles, les pieds dans l’eau à boire de la bière, on ne s’attendrait à priori pas à trouver cela passionnant d’un point de vue narratif, ni à devoir y chercher un sens politique. Et pourtant, c’est exactement le contraire qui se produit.
Déjà, comme dans la plupart des films de Michel Franco, il y a une sorte de tension qui électrise le récit, même quand il semble ne rien se passer à l’écran. Dès le premier plan, le cinéaste génère le malaise en filmant un poisson en train d’agoniser, hors de l’eau, sous le regard apathique de Tim Roth. L’impression est rapidement contrebalancée par des images plus sereines, montrant les personnages en train de se baigner ou de lézarder au soleil, mais elles-mêmes entrecoupées de plans des falaises d’Acapulco, pour communiquer une sensation de vertige, l’idée de personnages au bord du gouffre. On comprend que quelque chose ne va pas, qu’un danger imminent les guette.
Initialement, on peut penser que Neil et Alice forment un couple en crise et que la tranquillité de ces vacances n’est qu’un leurre, une parenthèse enchantée avant la rupture. La ruse employée par Neil pour rester au Mexique peut être prise comme le caprice d’un homme en proie au démon de midi, l’envie de passer un peu de bon temps tout seul, loin de ses proches, dans les bras d’une autre femme, à procrastiner, boire et nager.
Mais cette analyse est mise à mal quand on apprend la nature de leur lien de parenté. Qu’est-ce qui peut bien pousser Neil à s’éloigner ainsi de sa famille et de ses activités professionnelles? Pourquoi continue-t-on d’éprouver une sensation d’angoisse diffuse?
Le centre de gravité se décale imperceptiblement vers d’autres menaces potentielles, d’autres sources de tension. En renonçant au confort de son hôtel cinq étoiles, Neil s’installe dans un hôtel au bord de la plage destinée aux habitants locaux, un monde autrement plus modeste et découvre un univers un peu plus dangereux pour un touriste fortuné. Au mieux, il risque de se faire aborder par des “guides” prêts à lui extorquer quelques billets pour une excursion ou une visite de site, tomber sur des parasites cherchant à se faire offrir des bières ou se laisser séduire par des chicas n’en voulant qu’à son portefeuille. Mais les bas-fonds d’Acapulco, loin d’être un paradis pour touristes, peuvent aussi abriter des truands, des trafiquants de drogues et des individus prêts à n’importe quelle exaction pour gagner de l’argent. Chez le cinéaste, comme d’ailleurs chez d’autres cinéastes mexicains comme Amat Escalante, la violence peut éclater à n’importe quel moment, sous n’importe quelle forme. Le récit, où les péripéties sont rares, reste ainsi oppressant d’un bout à l’autre.
On devine qu’à travers l’histoire de Neil et le mystère qui entoure son attitude étrange, Michel Franco cherche surtout à dresser – une fois de plus – un portrait critique du Mexique d’aujourd’hui, profondément clivé entre une bourgeoisie oisive et décadente, aveugle et sourde aux problèmes du peuple, et des classes modestes cherchant à obtenir elles aussi richesses et pouvoir, quitte à user d’actes crapuleux et de violence. Si l’on lit bien entre les lignes, on n’est pas si loin que cela des thèmes abordés dans New Order, même si le sujet et son traitement son ici radicalement différents. Le cinéaste oppose le Mexique touristique, celui des hôtels de luxe, où les indigènes servent de larbins à des américains et européens paresseux, à celui d’un Mexique plus représentatif de la réalité, où les habitants essaient de sortir de la misère par tous les moyens. Il filme le crépuscule d’un modèle déclinant, où l’argent et les rapports de force sont souvent au coeur des relations humaines (Il est question de papiers, de parts, de rente, dès que Neil essaie de renouer le contact avec ses proches), et celui d’un pays, jadis modèle en matière de civilisation et de prospérité économique et aujourd’hui au bord du précipice, pour en revenir aux images du début du film.
Sundown est donc une oeuvre assez inclassable, faussement indolente et beaucoup plus politique que ce que l’on pourrait penser de prime abord. C’est probablement un des films les plus aboutis de son auteur, qui trouve ici l’équilibre parfait entre récit intimiste et allégorie politique, ménageant ses effets et ses scènes-chocs avec un sens de l’épure assez incroyable.
Prix potentiels ?
Michel Franco a obtenu le Grand Prix l’an dernier. La logique voudrait qu’il puisse cette fois-ci viser le Lion d’Or. Mais pas sûr que le jury soit prêt à primer deux ans de suite le cinéaste avec un prix de prestige, sauf peut-être un Lion d’Argent de la mise en scène.
En revanche, Tim Roth se positionne clairement parmi les favoris pour le prix d’interprétation masculine.
Contrepoints critiques
“Sundown” is a mystery, but it’s also a Rorschach test. No two people will see the film the same way.”
(Peter Debruge – Variety)
”I have a feeling those who were concerned with issues of representation in Franco’s New order really won’t dig Sundown either—that aside, the film feels a lot more slight than his standards, and all too emotionally flat.”
(@LeonardoGoi sur Twitter)
”Michel Franco’s Sundown is just Tim Roth taking long showers, drinking fresh beer and running away from his mother’s funeral. « aujourd’hui maman est morte ou peut-être hier je ne sais pas » vibes”
(@FerideMercury sur Twitter)
Crédits photos : copyright TEOREMA