[Venise 2021] “Freaks out” de Gabriele Mainetti

Par Boustoune

[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

De quatre monstres de cirque, pris dans le tourbillon de la seconde guerre mondiale, et de leur responsabilité rêvée dans la victoire finale des Alliés contre le Nazisme.

Pourquoi on trouve le film monstrueusement réussi ?

Freaks out, c’est Inglourious basterds avec des monstres de foire, Les Douze salopards en version fantastique et super-héroïque, Il faut sauver le soldat Ryan croisé avec les X-Men
C’est une oeuvre complètement dingue, qui réussit à trouver un parfait équilibre entre ses différentes composantes :  film d’aventures porté par une bonne dose d’action trépidante, comédie fantastique façon Tim Burton, film de guerre nous plongeant dans l’enfer du conflit mondial de 1939-1945 et réflexion sur le sort que les nazis réservaient aux personnes jugées différentes – Juifs, Roms, handicapés physiques et mentaux,…

Dès la scène inaugurale, Gabriele Mainetti nous attire dans son univers singulier avec un formidable numéro de cirque filmé en plan-séquence, qui nous présente successivement Israël (Giorgio Tirabassi), le patron de la troupe, Cencio (Pietro Castellitto), le dompteur d’insectes, capable de faire danser les lucioles, Mario (Giancarlo Martini), clown ayant le don d’attirer comme un aimant tous les objets métalliques à proximité, Fulvio (Claudio Santamaria), un colosse à la pilosité fournie, entre loup-garou et Chewbacca, et à la force herculéenne, pour finir en beauté avec l’électrique Matilde (Aurora Giovinazzo), qui peut allumer des ampoules par simple contact ou provoquer des coups de foudres, au sens propre comme au figuré. On a à peine le temps d’applaudir à leur performance que déjà, l’action s’emballe. Un bombardement impose d’évacuer illico le cirque. Mainetti nous entraîne au coeur de l’action. La caméra circule entre des personnages hagards, incapables de réagir et d’autres courants dans tous les sens, fuyant le danger. Elle zigzague entre les ruines fumantes, évite les obus, se faufile au coeur de la ville meurtrie.
Les scènes suivantes nous présentent les enjeux du récit. Dans l’impossibilité de poursuivre leur grande tournée européenne, les artistes doivent quitter l’Italie et trouver un endroit où poser leurs valises. Israël organise leur fuite vers les Etats-Unis, moins touchés par le conflit, mais il est arrêté par la Gestapo et déporté vers un camp de concentration. Fulvio propose alors de rejoindre le cirque de Berlin, dirigé par Franz (Franz Rogowski), un freaks, comme eux. Mauvaise idée! Le type est totalement dévoué à Hitler et au nazisme. Il entend aider l’Allemagne à gagner la Guerre en faisant profiter de son don de divination. Franz parvient en effet à voir l’avenir. Il a rêvé d’objets du futur – un smartphone et une manette de console de jeu – et a vu que l’Allemagne courait vers une inéluctable défaite. Il a prédit la capitulation, le suicide de Hitler et le procès de Nuremberg. Mais il a aussi vu qu’il était possible de retourner la situation en utilisant les dons singuliers de quatre monstres de foire, sans pouvoir clairement les identifier. Son cirque est un moyen d’attirer tous les mutants d’Europe et de vérifier s’ils sont capables de servir sa cause. Les autres, évidemment, sont exécutés et leurs dépouilles jetées dans d’immondes charniers.

Tout le film évolue constamment sur le fil, entre fable fantastique enlevé et reconstitution historique réaliste. Certains trouveront le parti-pris indécent, considérant que la seconde guerre mondiale – et encore moins la Shoah –  ne peut servir de cadre à une oeuvre fantaisiste, prenant des libertés avec l’Histoire. Pour les mêmes motifs, Tarantino en avait pris pour son grade avec Inglourious basterds et Roberto Benigni avait reçu quelques commentaires hostiles pour La Vie est belle et Steven Spielberg lui-même avait eu droit à sa polémique pour le pourtant magnifique et très sincère, La Liste de Schindler, ses détracteurs reprochant son côté mélo et ses libertés avec la véritable histoire. Mainetti devra probablement, lui aussi, batailler avec quelques critiques récalcitrants, mais il assume totalement ses choix narratifs, qui lui permettront sans doute de toucher une audience différente, plus jeune, plus “geek” et moins sensible aux films d’Art & Essai qu’aux films de super-héros, de science-fiction ou aux blockbusters d’action. Ici, il regroupe tout cela avec audace pour faire passer un message limpide, louant le droit à la différence et la nécessité de vivre ensemble tout en dénonçant les méthodes des partis populistes – fascisme, nazisme et leurs déclinaisons, passées, présentes et futures.
Il rappelle ce qu’était la déportation, la captivité, la vie et la mort dans les camps, pour inviter à ne plus reproduire les erreurs du passé. Dans le même élan, Il évoque aussi la puissance nucléaire à travers le personnage de Matilde, bombe humaine qui se refuse de tuer quelqu’un à l’aide de son pouvoir.
Mieux vaut laisser la guerre et les horreurs au cinéma! Surtout quand c’est traité avec un tel brio, en multipliant les morceaux de bravoure, comme l’évasion du cirque de Berlin ou l’assaut d’un train en route pour les camps de la mort.

Tout est parfaitement réjouissant, ici. Freaks out rivalise sans peine avec les meilleurs fils d’aventures créés par les studios hollywoodiens. La bataille finale est en soi un film dans le film, un pur plaisir de cinéphile-bis. La mise en scène de Mainetti accélère encore la cadence pour se transformer en un curieux ballet sauvage, façon Sam Peckinpah ou Robert Aldrich. Résistants communistes, déportés Juifs et monstres de foire unissent leurs forces pour résister aux assauts des soldats nazis. Les balles pleuvent. Les corps tombent. Le déferlement d’image donne presque le tournis et nous laisse épuisés, sans souffle, mais conquis.

Le film fonctionne aussi grâce à la belle complicité entre les comédiens du film, personne n’essayant de tirer la couverture à soi, sauf peut-être Franz Rogowski – mais avec six doigts à chaque main, c’est plus simple…
Il séduit enfin grâce à ses effets visuels splendides, signés par EDI, société italienne qui existe depuis une vingtaine d’années et trouve aujourd’hui une belle maturité artistique.

Pour nous, Freaks out  était l’un des films les plus excitants de la 78ème Mostra de Venise. Pas le plus profond, sans doute, ni le plus intello. Pas le plus radical ou le plus beau. Mais sans doute l’un des plus gonflés, assumant complètement son côté populaire et spectaculaire. Gabriel Mainetti avait déjà frappé fort en 2015 avec On l’appelle Jeeg Robot, film de genre surprenant entre manga et histoire de super-héros. Celui-là est encore plus dingue, pour notre plus grand bonheur.

Prix potentiels

Dans la compétition, Freaks out fait figure d’outsider. Son côté grand public, son ancrage dans le cinéma de genre et ses partis-pris narratifs ne sont à priori pas des atouts pour briguer un prix dans un grand festival. Mais Joker a montré qu’un film de super-héros – ou super-vilain – pouvait faire l’unanimité et gagner la récompense suprême. Alors pourquoi pas celui-ci?
Mainetti, par sa mise en scène virtuose, pourrait dompter un Lion d’Argent aussi sûrement que Matilde un tigre féroce.

Contrepoints critiques

”Even if one manages not to be appalled by its basic premise, when the film tacks together so much expensively shoddy-looking busywork in service of so little genuine wit or heart, it’s really hard to see where the “Freaks Out” appeal is supposed to lie, except maybe for connoisseurs of kitsch, who now, in its plush, vulgar excesses, have the cinematic equivalent of a velvet Elvis painting to enjoy.”
(Jessica Kiang – Variety)

“Gabriele Mainetti, dovunque tu sia ora, sappi che hai la mia devozione eterna.”
(“Gabriele Mainetti, à partir de maintenant, tu as ma reconnaissance éternelle”)
(Agnese Pietrobon – @idril_earfalas sur Twitter)

”Un vrai délice pour les yeux, doublé d’une aventure stimulante pour l’imagination.”
(Olivier Bachelard – Abus de ciné)

Crédits photos : Photos fournies par La Biennale Cinema