Après des films de genre plutôt oubliables et des comédies dramatiques plutôt académiques, voic que le réalisateur-scénariste Eric Besnard aborde un nouveau genre avec un sujet très à la mode aujourd'hui mais qu'il replace dans contexte historique bien plus passionnant. Ainsi après des films comme "Ca$h" (2008), "600 Kilos d'Or Pur" (2010), "Mes Héros" (2012) ou encore "L'Esprit de Famille" (2020), le cinéaste s'attaque au premier restaurant : "Au cours de lectures sur le XVIIIème siècle, je suis tombé sur l'invention du concept du restaurant. Je ne m'étais jamais posé la question de l'origine de ce lieu si patrimonial. Du coup j'ai fait dse recherches et vite compris que je tenais là quelque chose. Tout était là : la gastronomie, avec cette spécificité hexagonale qui consiste à prendre le temps de s'asseoir pour manger et partager un moment de convivialité, mais aussi le Siècle des Lumières et la Révolution..." Eric Besnard co-signe le scénario avec un certain Nicolas Boukhrief, réalisateur pour qui Besnard a co-écrit les films "Le Convoyeur" (2004) et "Made in France" (2015), tandis que les deux hommes ont aussi co-écrit la comédie "L'Italien" (2010) de Olivier Baroux. Autant dire que les deux hommes se connaissent bien, mais qu'ils ont aussi offert des films souvent médiocres ce qui, au vu de ce nouveau projet ambitieux, n'augure rien de bien optimiste...
Peu de temps avant la Révolution française, Pierre Maceron cuisinier passionné est limogé par son seigneur le duc de Chamfort. Déprimé il se morfond jusqu'à ce que se présente chez lui une femme qui souhaite apprendre l'art culinaire avec lui. Cette femme étonnante et si confiante lui redonne bientôt confiance en lui et le pousse à vivre de son art et être maître de son destin plutôt que de travailler pour des nobles. Ils commencent à créer un établissement où tout le monde pourrait venir s'attabler pour manger en toute convivialité mais si les clients ne manquent bientôt pas, les ennemis non plus... Le cuisinier est incarné par Grégory Gadebois vu dernièrement dans les excellents (2020) et "Présidents" (2021) tous deux de Anne Fontaine. La femme muse culinaire est interprétée par Isabelle Carré vue dans (2020) de Gabriel Le Bomin et qui retrouve Eric Besnard après "L'Esprit de Famille". Egalement présent dans "L'Esprit de Famille", on retrouve Jérémie Lopez, Marie-Julie Baup en salles en ce moment dans les films "Attention au Départ" (2021) de Benjamin Euvrard et "Les Fantasmes" ( 2021) des frères Foenkinos, Guillaume De Tonquédec qui retrouve aussi Laurent Bateau après "Les Blagues de Toto" (2020) de Pascal Bourdiaux, Laurent Bateau qui retrouve par la même occasion son partenaire Benjamin Lavernhe après "Le Goût des Merveilles" (2015) de Eric Besnard et "Le Discours" (2021) de Laurent Tirard. Pour finir citons Christophe Rossignon, producteur qui a l'habitude d'apparaître dans les films qu'il produit comme il l'avait fait dans "Ca$h" du même réalisateur, où par exemple dans (2016) de Tran Anh Hung ou (2018) de Stéphane Brizé... La première bonne idée est d'avoir choisit de situer l'histoire en province et non pas à Paris, sur ce point le réalisateur-scénariste a clairement été judicieux : "Paris, n'est pas la France. La France qui m'intéresse est celle du terroir, de la Nationale 7. L'idée de la transformation d'un relais de poste s'est vite imposée. Délicieux n'est pas le premier restaurant, c'est un des premiers, et dans la tête, le premier en province. Et c'était intéressant de créer un personnage qui soit symbolique de cette création. Aucun des personnages historiques ne m'est apparu à la mesure de l'invention." Hommage assumé à la gastronomie française avec un titre qu'on espère aussi judicieux qui renvoie mine de rien à un certain "Ratatouille" (2007) de Brad Bird mais avec une différence de taille, ce film-ci ne joue pas la carte postale parisienne tout en insistant sur le terroir de province avec comme résultat le parallèle entre l'aube du crépuscule de la Révolution et soudain l'ouverture de la gastronomie pour tous. On apprécie les dialogues d'emblée, soignés dès le premier repas, et surtout qui ouvrent à une poésie culinaire qui aiguise les palais du royaume.
Ensuite, on savoure une mise en scène aussi belle que les assiettes, et notamment on savoure le soin apporté aux plans de la cuisine de Maceron, cadrés et éclairés comme un tableau 18ème (voir 19ème) et à priori surtout du peintre Jean Chardin. D'ailleurs on aime cette auberge qui existe vraiment, mais quel travail de transformer une ruine en une auberge vivante, une maison dans laquelle on rêve d'aller manger. Un très bon point sur la lumière et la photographie, magnifique écrin qu'on a bien du mal à se dire que cet écrin est signé de Jean-Marie Dreujou, directeur Photo habituel de Eric Besnard. Par là même on est finalement très agréablement surpris par le réalisateur qui est soudain plutôt bien inspiré, créatif, qui colle sa mise en scène à son sujet, mais aussi qui met en valeur le contexte géo-politique sans en faire sujet parallèle. Malheureusement, ce magnifique film pêche par un rebondissement maladroit, une sous-intrigue mal venue... ATTENTION SPOILER !... Il semble qu'une femme prostituée ne soit pas assez "bien séant" et qu'en faire une noble soit finalement plus "acceptable", mais cela change un peu le scénario d'abord semble obliger d'y ajouter un sous-intrigue de vengeance convenue qui parasite le fil conducteur à qui aurait dû rester uniquement la cuisine et la gastronomie, et surtout, on oublie qu'on est en 1788-1789 et qu'une idylle au grand jour entre un cuistot et une noble est invraisemblable... ATTENTION FIN SPOILER !... Dommage donc que ce "twist" soit si peu judicieux. Malgré tout on aime ce film, esthétiquement sublime, avec des acteurs merveilleux dont un duc/Laverhne aussi abject que touchant, un couple dont les regards mettent également l'eau à la bouche, et que dire de la beauté des plats ! Précisons d'ailleurs que loin d'être un film sur un cuisinier, il y a aussi un magnifique portrait de femme (malgré le twist). Un film d'autant plus fabuleux que Eric Besnard offre cette gourmandise avec un budget limité à moins de 5 millions d'euros ! En conclusion, c'est de loin de meilleur film du cinéaste, la cohérence de la forme sur le fond, le parallèle gastronomie/liberté, le casting, l'éveil des sens jusqu'à tirer 2-3 larmes, quasi (ce twist décidément !) tout est une réussite dans ce film gourmet. À voir et à conseiller !