De quoi ça parle ?
De la disparition d’un groupe de huit journalistes philippins gênants pour le pouvoir en place. Et de l’enquête menée pour les retrouver.
À La Paz, la course à l’élection municipale s’annonce serrée. Chaque camp mobilise ses forces et tente de grappiller quelques voix.
Sisoy Salas (John Arcilla) est dans une position inconfortable. Il milite en faveur du maire sortant, Pedring Eusebio (Dante Rivero) et loue ses mérites dans le show radiophonique qu’il anime. Mais il est aussi journaliste au La Paz Newspaper, fondé et dirigé par son frère Arnel Pangan (Christopher De Leon), qui vient de révéler certaines magouilles du maire. En réaction, le pouvoir à incité les sociétés à boycotter les encarts publicitaires du journal, ce qui le place en situation financière précaire. Mais le journal continue à paraître, toujours plus offensif envers ceux qui essaient de les museler.
Un soir, le van transportant huit des journalistes, dont Arnel et son jeune fils, est intercepté par un groupe d’hommes armés. Tous sont froidement exécutés et enterrés.
Sisoy est désigné pour diriger le journal et diffuser des articles favorables au maire. On lui donne pour consigne d’étouffer l’affaire et de critiquer la moralité des journalistes disparus. Mais son besoin de découvrir la vérité est plus fort que tout. Il essaie de remonter les pistes permettant d’identifier les responsables du massacre et notamment les informations soufflées par un jeune détenu, Roman (Dennis Trillo), impliqué malgré lui dans une sorte de mafia utilisant des prisonniers pour commettre des crimes à l’extérieur de la prison.
Pourquoi on chante les louanges du film ?
Commençons déjà par les choses qui fâchent. On the job : The Missing 8 souffre du même mal que Leave no traces, présenté hier sur le Lido. Il est beaucoup trop long (3h30) par rapport à la teneur de son intrigue, et est marqué par quelques temps morts ennuyeux. Cela tient peut-être à la nature de sa production, HBO Asie étant derrière cette grande fresque politique et criminelle. Peut-être le format a-t-il été calibré pour être une minisérie au départ. En tout cas, la structure, avec ses morceaux de bravoure bien répartis et ses points d’accroche du récit, obéit à une construction plus télévisuelle que cinématographique.
Pour le reste, c’est du pur cinéma. Erik Matti se fait plaisir en se lançant dans des plans-séquences à chaque fois qu’il le peut. Sa caméra virevolte d’une pièce à l’autre, d’un personnage à l’autre, permet d’embrasser toute l’action et restituer l’ambiance survoltée d’une rédaction ou d’un QG politique, la dangerosité d’une prison ou la tranquillité d’un désert idéal pour faire disparaître des opposants gênants. Comme les différents personnages-clés du récit, Arnel, Sisoy et Roman, le spectateur est plongé dans la vie de cette petite ville en ébullition, en quête de vérité.
Le cinéaste semble beaucoup s’inspirer des grandes fresques mafieuses de Martin Scorsese – on pense, toutes proportions gardées, aux Affranchis et à Casino – mais aussi de certains cinéastes de Hong-Kong, comme Johnnie To (Election), Andrew Lau (Infernal Affairs). Il décrit avec un certain brio des rouages politiques complexes et fait des scènes de violences des pièces d’opéra sanglants, grâce à un montage nerveux, des effets de styles et une utilisation systématique de chansons ou d’airs musicaux pour souligner les morceaux de bravoure.
Parmi les plus abouties, citons la séquence du massacre des huit journalistes, exécutés pendant que Sisoy, invité à une soirée de son ami le maire, pousse la chansonnette sur un vieux tube de crooner.
Certes, à la longue, après trois ou quatre tueries similaires, le procédé devient un peu épuisant, mais malgré le manque de moyens matériels, l’ensemble possède une certaine allure, un cachet particulier.
On peut reconnaître à Erik Matti le mérite de proposer autre chose que le cinéma contemplatif d’un Lav Diaz ou un Brillante Mendoza, tout en se livrant à une critique féroce de la société philippine actuelle et du pouvoir exercé par Rodrigo Dutertre. Le portrait n’est pas flatteur : les militaires des années de dictature de Marcos sont devenus des gangsters, puis se sont rapprochés des sphères du pouvoir, les politiciens nationaux, même les plus vertueux, sont souvent compromis dans des affaires du passé, les politiciens locaux sont des despotes prêts à tout pour garder le pouvoir, les journalistes sont corrompus et ceux qui ne le sont pas sont censurés ou finissent six pieds sous terre. Ah, ça ne donne pas envie d’y faire du tourisme! Surtout avec ce que l’on savait déjà des mesures autoritaires de Dutertre… Justement, il fallait quand même un certain cran pour s’attaquer frontalement à un régime en place qui n’est pas spécialement connu pour sa mansuétude. Plus que pour faire la critique du communisme soviétique, trente ans ou soixante-dix ans après…
Le cinéaste a d’ores et déjà prévu un troisième volet à sa saga, qui est attendu pour 2022. On le découvrira avec intérêt, en espérant toutefois qu’il saura se canaliser un peu sur la durée et le recours systématique aux chansons pour appuyer son propos.
Prix potentiels ?
On ne voit pas de félin doré venir ronronner près de ce film, mais les autres prix sont envisageables. Sauf le prix d’interprétation féminine, puisque le film se déroule dans un milieu plutôt masculin.
Contrepoints critiques
”there’s a sublime tension in the way Matti and Yamamoto pay homage to the power of print while going stylistically for broke.”
(Keith Uhlich – The Hollywood Reporter)
Crédits photos : Photos officielles fournies par La Biennale Cinema