[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
Difficile de le dire sans gâcher ce qui fait l’intérêt du film.
L’intrigue est centrée sur Massimo (Elio Germano), un quadragénaire qui semble mener une vie heureuse et paisible. Il possède une grande villa d’architecte dans les environs de Latina, près de Rome, et un cabinet dentaire prospère. Il est l’époux d’une femme aimante et père de deux filles sages et douées.
Un matin, il descend au sous-sol et fait une découverte qui vient perturber cette existence tranquille…
Pourquoi on ne décolle pas vraiment ?
Le début du film est des plus intrigants. Déjà, il y a la musique associée au logo Universal, qui est ici massacré à la flûte à bec. Puis un générique curieux, constitué d’un travelling et du défilé des noms des acteurs et techniciens, de gauche vers la droite, créant une sensation assez curieuse. Il cesse sur un plan de la villa de Massimo, bâtisse curieuse, imposante, qui ressemble plus à une maison de film d’horreur qu’à un cadre de vie bucolique. Mais l’homme semble plutôt heureux dans cette maison. On le voit boire des bières avec son vieil ami Simone (Maurizio Lastrico), puis regagner sa demeure baignée de lumière, où sa fille cadette joue du piano divinement – en tout cas, mieux que la flûte à bec du début… Il est bientôt rejoint par sa fille aînée et son épouse. Cette famille a tout de la famille-modèle, mais les images ont quelque chose d’étrange, un peu éthérées.
L’ambiance créée par les cinéastes ne colle pas vraiment avec l’image que devrait renvoyer cette famille heureuse. On sent ce décalage et on le perçoit comme une fêlure, le signe que quelque chose va craquer.
Gagné! La visite dans la cave fait basculer le film dans un récit bizarre. Le comportement du personnage semble échapper à toute logique, même s’il lutte pour essayer de remettre ses idées au clair, et sa vie semble prendre l’eau de toutes parts.
Le problème, c’est que cet évènement, s’il provoque un certain malaise, intervient un peu trop tôt dans le récit pour tenir véritablement la distance. Il ne laisse pas beaucoup d’options interprétatives au spectateur. On se demande illico si le personnage a bien toute sa tête, ave de sérieuses indications quant à la réponse à cette question. Les spectateurs les plus joueurs pourront essayer de se raccrocher aux quelques indices, disséminés ça et là, pour chercher à reconstituer le puzzle (un fait divers évoqué à la télévision, les tremblements de la main de Massimo au moment de procéder à l’anesthésie locale d’une patiente, sa consommation abusive d’un médicament, un accès de colère…). Les autres, un peu perdus ou frustrés, risquent de s’ennuyer profondément face à cette succession de séquences absurdes.
D’ordinaire, on aime ce genre de film qui peut se voir comme une pure construction mentale, un mauvais rêve ou un fantasme sombre. David Lynch en a fait son terrain de jeu de prédilection et cela lui a permis de signer ses meilleures oeuvres. Les frères d’Innocenzo, hélas, n’ont pas son talent, même s’ils se montrent doués pour créer une atmosphère angoissante avec trois fois rien et pour filmer des plans visuellement originaux, comme celui où le protagoniste prend sa douche, avec l’eau qui semble couler à l’horizontal. Mais, passé un moment, le manque d’enjeux narratifs se fait ressentir, et comme les cinéastes ne semblent pas vraiment chercher à donner une autre dimension au récit ou à expliciter le comportement de Massimo, le spectateur se retrouve vite dans l’impasse, incapable de s’attacher au personnage et d’éprouver de l’empathie pour lui.
Mais peut-être faut-il aller voir au-delà des simples apparences, essayer de décrypter le titre, énigmatique. America Latina ne se déroule pas du tout en Amérique du sud, ne comprend à priori aucun personnage venu de cette zone géographique. En revanche, l’action se déroule bien à Latina, ancien marécage de la région du Latium transformé en ville par le régime fasciste en 1932. Drôle d’idée… Comme celle d’installer une villa d’architecte au milieu de nulle part. Mais un beau symbole pour appuyer la logique du film, l’opposition d’un monde souterrain malsain, sombre et nauséabond – le marécage, le sous-sol – et celui de la surface calme, apaisé, tranquille, où tout semble trop parfait pour être honnête, comme dans ces vieilles publicités américaines, qui essayaient de vendre l’idée du “rêve américain” (l’America du titre?), avec ses familles heureuses dans leurs maisons proprettes.
La maison peut être vue comme le symbole d’une vie rêvée, mais aux fondations fragiles, car construites sur un terrain glissant (la relation de Massimo avec son père, par exemple). Elle peut aussi coller à la théorie freudienne des différentes strates de la personnalité humaine : surmoi, moi et ça. La cave, abritant le “ça”, étant le lieu où se déchaînent les pulsions et les instincts primaux. Tout semble appuyer le portrait d’un homme paumé, tourmenté par ses fantasmes, ses rêves (brisés) et ses actes, et éventuellement, une réflexion sur comment la société a influé sur sa perte de repères.
Mais tout cela est laissé de côté ou reste purement hypothétique, et le film ne permet jamais d’aller plus loin que ce qui est montré à l’écran, à travers la mise en scène ou le jeu fiévreux d’Elio Germano. Une seconde vision permettait peut-être de reconsidérer le travail des frères d’Innocenzo, mais en l’état, leur film semble un peu trop immature, trop facile et trop creux pour susciter l’enthousiasme.
Prix potentiels ?
On ne voit pas le film au palmarès, hormis, éventuellement, un prix d’interprétation pour Elio Germano. Mais d’autres performances masculines autrement plus fortes mériteraient d’être primées.
Contrepoints critiques
”America Latina is brief 90 minutes of blatant boredom. the twist is so easily figured out but the feature doesn’t think the audience has guessed it all”
(Kristen Lopez – Indiewire)
”America Latina è un film dal fascino mentale, ed è l’espressione lampante di un’autorialità, quella dei D’Innocenzo, che continua a sorprendere ogni volta di più.”
(”America Latina est un film psychologique envoûtant, qui confirme la maîtrise des d’Innocenzo, surprenants une fois de plus.”)
( BadTaste sur Twitter)
Crédits photos : Photos officielles fournies par La Biennale Cinema