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De quoi ça parle ?
D’une prison perdue au cœur des montagnes, à la frontière entre l’Italie et la Suisse, et des relations entre une douzaine de détenus et la poignée de gardiens chargés de les surveiller.
L’établissement est sur le point d’être fermé définitivement. Mais alors que l’essentiel des prisonniers et du personnel à déjà évacué les lieux, la directrice annonce à l’équipe de Gaetano (Toni Servillo, omniprésent sur cette 78ème Mostra) qu’elle va devoir encore patienter quelques jours avant de fermer la boutique. Il reste une douzaine de détenus qui n’ont pas pu être recasés ailleurs.
Pour ceux qui sont contraints de rester, la situation est assez compliquée. La réorganisation de l’espace est nécessaire pour assurer la sécurité des lieux. Les visites des proches sont suspendues et la cantine pénitentiaire, fermée, est remplacé par d’infâmes plats surgelés industriels. Les détenus, qui n’ont pas d’informations sur la situation et sa durée potentielle, sont particulièrement énervés, à commencer par Lagioia (Silvio Orlando), qui organise une mini-révolte. Dans ce contexte, les gardiens sont tendus, d’autant qu’on leur amène de surcroît un nouveau prisonnier, un jeune homme paumé en proie à des accès de violence, et que leur pensionnaire le plus âgé semble par ailleurs manifester des signes de sénilité…
Tout est réuni pour que la situation dérape.
Pourquoi ce film nous a séduits à perpétuité ?
Les films de Leonardo di Costanzo nous entraînent toujours dans des lieux étranges, démesurés par rapport aux personnages et au contexte de l’intrigue, générant une atmosphère particulière. Dans L’intervallo, deux adolescents déambulaient dans un hôpital psychiatrique désaffecté et y vivaient une journée enchanteresse, oubliant un court instant la menace de la mafia napolitaine. Dans L’Intrusa, une quinquagénaire tenait un centre aéré dans un ancien fort, La Masseria, permettant aux enfants de rester à l’écart de la même camorra, avant qu’une arrivée impromptue ne vienne menacer ce havre de paix.
Ici, c’est un peu l’inverse. Le cadre est constitué par une ancienne prison du XIXème siècle, un lieu assez sinistre, si on fait abstraction des montagnes environnantes, majestueuses. Difficile d’oublier la mafia ou la présence de criminels, puisque ceux qui sont incarcérés dans cette prison ont tous passé de nombreuses années derrière les barreaux, après une vie de crimes et de violence. Pendant les deux tiers du récit, la présence de ces détenus, filmés comme des lions en cage, et de certains gardiens sur les nerfs, génère une tension qui va crescendo. On ne peut s’empêcher de penser au pire, une émeute tournant au drame, une évasion violente, la bavure d’un maton fébrile. Mais là encore, la magie des lieux finit par opérer. Alors que la situation devient particulièrement compliquée, les conditions favorisent les rapprochements entre détenus, mais aussi entre prisonniers et gardiens. Comme si tous, perdus dans ces grands locaux déserts, eux mêmes minuscules par rapport à l’immensité des paysages alentours, avaient besoin de proximité, de compagnie, de partage. Le temps d’une soirée, l’humanité reprend ses droits, avec tout ce qu’elle peut avoir de sublime. Les détenus se montrent plus compatissants les uns envers les autres. Les plus anciens prennent sous leur aile le jeune détenu, dont le sort judiciaire paraît mal embarqué, et ce-dernier aide le vieux détenu malade à retrouver un peu de sa dignité. Les gardiens abandonnent un temps la distance réglementaire pour échanger quelques mots avec les prisonniers. Les langues se délient, les âmes s’apaisent. Un moment de grâce, de temps suspendu, loin de tout, loin des soucis des uns et des autres, loin des conditions carcérales difficiles à vivre.
Si le début du film nous évoquait une oeuvre comme Ghosts… of the civil dead de John Hillcoat, ce revirement le fait ressembler plutôt à au sublime Doing time de Yoichi Sai, sans doute le film carcéral le plus zen jamais tourné.
Même si les lendemains seront probablement difficiles pour tous ces hommes, quand la routine reprendra ses droits, avec chacun à sa place, ces moments de joie et d’insouciance leur auront permis de goûter à la liberté, de reprendre un peu foi en l’humanité et en des valeurs comme la solidarité, le respect mutuel. Cette parenthèse enchantée, ou plutôt cette bouffée d’oxygène dans un univers clos étouffant, aura permis aux prisonniers d’entrevoir l’espoir d’une vie plus apaisée quand ils sortiront, et aux gardiens de jouer un vrai rôle éducatif, plus valorisant que celui de l’habituelle figure autoritaire.
Outre son habileté à se servir du décor pour créer un climat singulier, héritée de son passé de documentariste, Leonardo di Costanzo prouve qu’il est aussi un excellent directeur d’acteur. C’était déjà le cas dans ses précédents films, où il avait révélé le talent d’acteurs inconnus (Francesca Riso, Alessio Gallo, Raffaella Giordano), mais on se demandait s’il avait la carrure pour canaliser l’énergie de deux monstres sacrés du cinéma transalpin, Toni Servillo et Silvio Orlando, qui peuvent parfois avoir tendance à cabotiner, dans un excès d’enthousiasme. Ici, les deux sont d’une sobriété exemplaire. Ils sont constamment dans le ton juste. L’émotion passe par des petits détails, notamment des regards ou des sourires échangés. On sent que les deux personnages ont plus de points communs qu’ils ne veulent bien l’admettre. Ils auraient même pu connaître des destins croisés s’ils avaient choisi, à un moment de leur vie, un autre chemin, ou suivi une autre personne. Pour que l’on y croie, il fallait que les personnages soient sur un pied d’égalité et donc qu’aucun acteur ne vole la vedette à l’autre. C’est le cas ici. Sous la houlette du cinéaste, les deux comédiens sont constamment dans la retenue et jouent leur partition avec beaucoup d’altruisme. Ils livrent une très belle performance et laissent même de l’espace pour que les autres comédiens puissent s’exprimer.
Pietro Giuliano est épatant dans le rôle du jeune prisonnier, un garçon à la dérive, sans repères éducatifs, qui trouve, dans cette prison, le cadre familial dont il avait besoin. Et Fabrizio Ferracane est également très à l’aise dans la peau du maton le moins commode du lot.
Ils participent à la réussite de ce beau film, qui impose un peu plus Leonardo Di Costanzo comme l’un des cinéastes italiens incontournables.
Contrepoints critiques
”Ariaferma avrebbe forse meritato il concorso: racconto per immagini, buio e luce in chiave narrativa. E un grande #ToniServillo (ma non è una novità!)”
(“Ariaferma aurait mérité d’être en compétition : un conte dont le scénario entremêle lumière et obscurité, avec un grand Toni Servillo (mais ce n’est pas une nouveauté!)”
(Paola Abenavoli – @paolaabenavoli sur Twitter)
”Ariaferma (…) makes basically so with a “duel” between two great actors, inserted in a dynamic similar to a play, between Toni Servillo and Silvio Orlando, even excessively because Di Costanzo gives free rein, settles into a simplistic direction knowing that he has two talents like these two actors and basking in a more « commercial » dimension, more conventional.”
(Ettore Dalla Zana – Letterboxd)
Crédits photos : Gianni Fiorito – Photo fournie par La Biennale Cinema