Réalisatrice : Mélanie Laurent
Avec : Mélanie Laurent, Lou de Laâge, Benjamin Voisin, Emmanuelle Bercot, Cédric Kahn, ...
Distributeur : Amazon Prime Video France
Budget : -
Genre : Drame, Historique
Nationalité : Français
Durée : 2h02min
Synopsis :
L’histoire d’Eugénie, une jeune fille lumineuse et passionnée à la fin du 19è siècle. Eugénie a un don unique : elle entend et voit les morts. Quand sa famille découvre son secret, elle est emmenée par son père et son frère dans la clinique neurologique de La Salpêtrière sans possibilité d’échapper à son destin. Cette clinique, dirigée par l’éminent professeur Charcot, l’un des pionniers de la neurologie et de la psychiatrie, accueille des femmes diagnostiquées hystériques, folles, épileptiques et tout autre type de maladies physiques et mentales. Le chemin d’Eugénie va alors rencontrer celui de Geneviève, une infirmière de l’unité neurologique dont la vie passe sous ses yeux sans qu’elle ne la vive vraiment. Leur rencontre va changer leurs destins à jamais alors qu’elles se préparent à assister au fameux « Bal des folles » organisé tous les ans par le Professeur Charcot au sein de la clinique.
Critique :
#LeBaldesFolles se tient en demi-teinte, entre l’émotion réelle apportée par le propos et la mise en scène de l’emprisonnement physique et psychologique des ces femmes défiant toutes normes sociales, et la narration balisée pour choquer faiblement son auditoire. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/dt8kaJK4ED
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) September 20, 2021
Petit événement chez Prime Video. Pour leur première production française, la plateforme adapte le livre événement 2019, Le bal des folles de Victoria Mas, prix Renaudot des lycéens la même année. C’est à Mélanie Laurent que revient le plaisir de transcrire cette histoire en image, qui signe ici son sixième long métrage en tant que réalisatrice. Elle retrouve son actrice de Respire (2014), Lou de Laâge et nous emmène dans l'hôpital de la Salpêtrière au XIXe siècle, où le professeur Charcot aime donner ses patientes en spectacle lors d’un bal dit « le bal des folles ». Mais ces femmes, enfermées pour hystérie, paranoïa ou démence sont-elles vraiment malades ? Présentées comme des trophées, des objets de recherche, de désir, vulnérables sans la protection des hommes (famille ou mari), elles sortent des normes et viennent défier l’ordre établi.
Mélanie Laurent forme sa mise en scène par un jeu de miroir entre le personnage qu’elle interprète, Geneviève et celui de Lou de Laâge, Eugénie. Elle nous présente ces femmes de dos, filmant leur tête cernée d’un chignon serré, ou d’un petit chapeau qui ne laisse aucun cheveu dépassé. C’est ce qu’on leur demande, être docile, ne pas prendre de place et marcher sur le chemin tout tracé de la femme du XIXe siècle : épouse, mère ou se placer dans le domaine du care, comme Geneviève. Toujours sous la coupe d’un homme évidemment. Eugénie est une jeune femme de la haute-société. Derrière ses robes corsetées se cache une envie d’apprendre, de lire, de se construire une opinion. En secret, elle se rend aux funérailles de Victor Hugo ou dans un café à Montmartre, lieu parisien des artistes débauchés, pour y lire de la poésie et fumer. Mais le terrible secret d’Eugénie se trouve autre part, dans l’invisible, dans les limbes de l’esprit. Car les morts lui parlent, lui demandent de l’aide, lui donnent des informations. La cinéaste nous met d’abord dans le doute, entourant son personnage de vide tandis qu’elle voit un fantôme. Mais ensuite, tel une héroïne gothique moderne, la véracité de ses visions est montrée, ce qui lui sera fatal. Le lendemain, elle se retrouve patiente du professeur Charcot, enfermée dans un dortoir pour la « guérir » ou alors pour éloigner la honte de la famille, cette fille trop rebelle, trop indépendante.
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Ce sont plusieurs histoires qui se recoupent dans Le bal des folles, plusieurs thèmes formant un récit en dent de scie, parfois pertinent, parfois d’une émotion ténue mais puissante et hélas, parfois en passant à côté de ce que le film veut démontrer. Mélanie Laurent excelle dans les détails mais peine à filmer la violence des institutions qu’elle dénonce. La violence, déjà présente dans la plupart des scènes incluant des hommes de pouvoir (mari, père, médecin), est sur-expliquée par des dialogues peu subtils et surtout par des séquences de violence physique pas toujours convaincantes, lorgnant vers le torture porn expéditif. La vision un peu éculée de l’hospice, avec la matrone autoritaire malsaine (ici jouée par Emmanuelle Bercot) finit de poser un univers bancal, jouant sur nos attentes en termes de suspens.
Au-delà de ces défauts, le film émeut pourtant et pour comprendre cela, il faut se tourner vers son autre discours, un portrait de femmes se tenant en dehors des clous. Devant sa caméra, ces femmes, que l’on traite de folle et de démente, forment une sorte de résistance face à la société dans laquelle elles vivent. La réalisatrice insiste sur le lien qui les unit, sur leur sororité. Elles, qui dérangent l’ordre établi, n’existent plus aux yeux de la société, cachées dans ces couloirs blancs et à la merci de médecins sûrs de leur fait. Malgré le titre, le bal n’intéresse peu la narration, tournée plutôt vers le quotidien des patientes et la façon dont elles sont traitées. Que leur maux soient vrais ou inventés, le résultat est le même et la mise en scène ne fait également aucune séparation entre Eugénie et ses colocataires de chambre. Pourtant, le personnage possède un pouvoir unique, un pouvoir de mort qui la maintient en vie. Car en jouant sur le désir singulier de se lier de nouveau avec un proche disparu, elle façonne sa propre clef vers la sortie, laissant malheureusement derrière elle ses nouvelles amies, dont le sort est tristement lié à l’hôpital. Libre de penser, leur corps reste pourtant enfermé, sans espoir d’en sortir un jour. La moralité finale laisse alors un poil perplexe.
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Quand Mélanie Laurent se libère du joug de la narration historique, elle montre son talent avec une mise en scène proche des corps et filme ses personnages dans un ballet de mouvement et de regard. Il est alors dommage de voir que son désir de raconter les femmes et non l’Histoire soit réprimé au profit d’un banal drame social d’époque. Le bal des folles se tient en demi-teinte, entre l’émotion réelle apportée par le propos et la mise en scène de l’emprisonnement physique et psychologique des ces femmes défiant toutes normes sociales, et la narration balisée pour choquer faiblement le/la spectateur⋅trice avec les traitements (réels) de Charcot sur ses patientes.
Laura Enjolvy