De quoi ça parle ?
D’une femme divorcée, Elena (Julia Chavez), ayant beaucoup de mal à s’occuper de son fils, Tom (Israel Rodriguez), un garçon turbulent et colérique. Les médecins finissent par diagnostiquer le mal dont il souffre, en quatre lettres : TDAH. Trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité.
Il lui collent illico un imposant traitement médicamenteux qui, effectivement, calme un peu l’enfant, mais génère aussi d’autres troubles tout aussi inquiétants : dépression, insomnies, tics nerveux et idées noires. Sa mère finit par regretter l’autre Tom, celui d’avant le traitement, et commence à s’interroger le bénéfice-risque de tout cet arsenal médicamenteux. Ce faisant, elle entame un combat contre l’équipe médicale et les services sociaux.
Pourquoi on suit le film sans aucun déficit de l’attention ?
Le sujet est assez complexe, car le TDAH est une pathologie qui fait polémique. Certains considèrent qu’il s’agit d’un déséquilibre chimique au niveau du cerveau qui ne peut se soigner que par un traitement médicamenteux, quand d’autres y voient un problème avant tout comportemental qui peut se soigner par psychothérapie. Les plus mesurés prônent l’association des deux méthodes : un peu de médicaments, à juste dose, et un peu de psychothérapie. Les plus radicaux vont jusqu’à considérer que ce trouble n’existe pas ou qu’il est diagnostiqué à tort chez de nombreux patients turbulents.
Le film épouse cette complexité. Il présente tour à tour les différents points de vue, à travers l’évolution d’Elena, qui est d’abord perdue, puis fait une confiance aveugle aux médecins avant de remettre en question le traitement et même douter de la pathologie de Tom. Mais les cinéastes se gardent bien de prendre position sur le sujet, laissant au spectateur le soin de se forger sa propre opinion à partir de ces fragments d’intrigue.
La mise en scène joue d’ailleurs d’emblée la carte du morcellement, de la division, avec ses jeux de reflets et ses effets de symétrie (ou d’asymétrie). Dans la première scène, les corps de Tom et Elena se multiplient à l’infini par un effet miroir, comme autant de versions différentes des personnages et de leurs relations tumultueuses. Il n’y a pas qu’un seul Tom. Il y a le garçon sage, à la gueule d’ange et le petit démon capable de faire tourner en bourrique les adultes, en faisant des plaisanteries assez vicieuses pour son jeune âge – par exemple celle où il fait croire à son coach sportif que sa mère est un peu sourde pour le contraindre à élever la voix en sa présence, le faisant passer pour un benêt passant son temps à hurler… Il y a le Tom turbulent, qui, comme le héros de Mark Twain, Tom Sawyer n’aime pas l’école et le Tom surdoué, capable de réaliser des dessins plutôt évolués pour son jeune âge. Il y a le Tom qui adore sa mère et ne peut se passer d’elle et le Tom en colère, qui cherche à faire payer à sa mère ses absences et ses nombreuses promesses non tenues.
Il n’y a pas non plus qu’une seule Elena. Il y a la mère courageuse qui essaie de tout faire pour que son fils aille mieux, multipliant les cadeaux, les petites attentions, et la femme ayant parfois besoin de faire un break dans les bras d’un inconnu, au grand dam du gamin, qui préférerait qu’elle se remette avec son père.
Il y a l’ouvrière qui effectue des horaires contraignants pour gagner plus et assurer un niveau de vie correct au foyer, quand le géniteur de Tom “oublie” de payer la pension alimentaire, la maman d’élève qui doit aller de rencontre avec les professeurs en rendez-vous médicaux, de travailleurs sociaux (pour solliciter des aides) en services sociaux (qui la soupçonnent de mal s’occuper de l’enfant). Elle ne peut pas se permettre des déficits d’attention, elle… En revanche, son comportement est parfois tout aussi brutal que celui de son fils, dans un autre registre. Elle s’emporte facilement et se refuse souvent à écouter les conseils qui lui sont prodigués.
En fonction de l’humeur de l’une et de l’état psychologique de l’autre, des caprices de l’un et des décisions prises sur un coup de tête de l’autre, les rapports mère-fils font parfois des étincelles. Mais derrière cela, il y a de vrais liens affectifs, une relation forte. On sent que ces deux là ne peuvent vivre l’un sans l’autre, même s’ils peuvent parfois s’agacer mutuellement. Le meilleur traitement, pour ce gamin blessé, écartelé entre père et mère, pieds sur terre, coeur en mer et tête en l’air, c’est qu’on lui accorde un peu d’attention, qu’on l’emmène en vacances à la plage, afin qu’il puisse déconnecter vraiment, prendre le temps de profiter de la vie. Idem pour Elena, qui doit pouvoir s’autoriser une pause pour pouvoir affronter les épreuves à venir.
Certains reprocheront à Rodrigo Plá et Laura Santullo, par ailleurs auteure du roman éponyme (1), de ne pas prendre position, d’esquisser des problématique sans aller au bout. Mais El Otro Tom n’est pas un film à thèse. Il ne cherche pas à asséner une vérité absolue sur le TDAH/TDSH. Il montre justement qu’en la matière, rien n’est évident. Il ne cherche pas à donner d’explication concrète quant au mal dont souffre Tom, ni à donner de solutions toutes faites. La seule piste mise en avant par les cinéastes, c’est déjà, la nécessité d’accepter la maladie et les tourments qui vont avec, et ensuite la nécessité d’une véritable relation de confiance entre la mère et le petit garçon, qui servira à limiter les conflits et les aider à affronter ensemble les moments difficiles. D’une manière générale, le film prône une approche humaine aussi bien pour le malade que pour ceux qui l’entourent. Cela passe par le rôle des éducateurs et professeurs, des camarades de classe, mais aussi des médecins. Chacun doit faire preuve de patience et de tolérance pour que le malade et ses proches puissent évoluer dans une atmosphère plus sereine, propice à une amélioration de l’état du patient.
El Otro Tom ne fait rien d’autre que remettre la relation humaine au coeur du dispositif, ce qui est déjà utile et cinématographiquement très valable. Pour cela, les cinéastes sont bien aidés par les performances des deux interprètes principaux, Julia Chavez, formidable dans la peau de cette mère courageuse, parfois dépassée par les évènements, et Israel Rodriguez, aussi épatant dans le registre du garçon innocent que du petit diable turbulent.
Contrepoints critiques
”Santullo y Plá demuestran un entendimiento del tema y exitosamente plasman sus preocupaciones en relación a los diagnósticos incompletos. Y esto lo logran sin melodrama o la necesidad de caer en extremos; el enfoque se mantiene en la emotividad de una madre y un hijo aprendiendo a vivir con un trastorno más complicado de lo que la sociedad y los sistemas puedan hacernos creer.”
(« Santullo et Plá font preuve d’une bonne compréhension du sujet et réussissent à exposer leurs préoccupations concernant les diagnostics incomplets. Et ils le font sans mélodrame ni excès ; l’émotion naît de la relation d’une mère et d’un enfant qui apprennent à vivre avec un trouble plus compliqué que la société et les systèmes pourraient nous le faire croire ».
(Ricardo Gallegos – La Estatuilla)
”[The directors] hope silently “both sides-ing” the issue exonerates them from taking a stand, but it can’t when the text vocally aligns with one. The Other Tom is thus rendered a conversation ender. It shuts every argument down just like Elena does and Tom is left suffering alone.”
(Jared Mobarak – Jared Mobarak)
(1) : “El otro Tom” de Laura Santullo – ed. Vergara (pas de traduction française à date)
Crédits photos : Photographie officielles fournies par La Biennale Cinema