[Giornate degli autori]
De quoi ça parle ?
D’une adolescente roumaine d’à peine dix-huit ans (Ana Dumitraşcu), qui, par amour d’un garçon, s’est mise à se droguer avec lui. Quand le jeune homme est arrêté et condamné à trois ans de prison, les parents de Daria la contraignent à reprendre sa vie en main en l’envoyant dans un centre de désintoxication. Là, la jeune femme est confrontée aux effets du manque. Le manque de drogue, qui provoque tremblements et suées, à peine calmées par la méthadone. Et celui de son amant, qu’elle ne peut pas joindre facilement, les téléphones étant confisqués aussi bien en prison que dans ce centre qui ressemble d’ailleurs plus à un pénitencier qu’à un hôpital. Mais son principal problème, dans ce lieu sordide, est surtout d’être confrontée à une population essentiellement masculine, des types en manque de drogue, mais aussi, pour la plupart, de tendresse et de sexe. Très vite, Daria subit les regards lubriques de ses camarades de chambrée, des jeux qui se transforment imperceptiblement en attouchements. Et le caïd des lieux, Spartac (Vasile Pavel), un quadragénaire qui a vécu la majeure partie de sa vie derrière les barreaux, tente de lui vendre sa protection et des services divers en échanges de faveurs sexuelles. Mais elle refuse et c’est ce qui réussit à la préserver. Spartac admire son innocence, sa relative pureté. Elle est encore jeune, idéaliste et les quelques mois de consommation d’héroïne ne l’ont pas encore brisée. Alors, il décide de la prendre sous son aile, ce qui la protège de toute agression. Mais l’arrivée de Costea (Cezar Grumăzescu), un nouveau patient, pourrait bien modifier la donne…
Pourquoi c’est de la bonne came cinématographique ?
Déjà parce qu’il s’agit d’un film très personnel. Monica Stan, la réalisatrice et scénariste du film, s’est inspirée de sa propre expérience pour décrire ce séjour en centre de désintoxication qui n’a rien de la cure thermale d’agrément. Elle connaît donc bien son sujet et dirige à merveille Ana Dumitraşcu, la révélation du film, pour nous faire ressentir le désarroi et les peurs de la jeune Daria, perdue dans cet univers singulier, entre la prison et l’hôpital, mais qui est aussi le passeport obligé vers une vie “normale”, en tout cas conforme à ses rêves d’adolescente sage, avant de sombrer dans la drogue.
Monica Stan a aussi eu la bonne idée de s’adjoindre un co-réalisateur qui puisse avoir du recul sur ce scénario et puisse l’aider à structurer le film. Elle a choisi de s’associer à George Chiper-Lillemark, qui est surtout connu pour être le chef-opérateur de Touch me not, Ours d’Or à Berlin en 2018. Le film d’Adina Pintilie traitait de désir et de rapport à l’intimité, et baignait dans une atmosphère assez particulière que l’on retrouve un peu, par moments, dans Immaculate. Tout le film est parcouru d’une tension érotique un brin malsaine, et chaque scène pourrait basculer dans le sordide. Spartac semble protecteur, mais pourra-t-il résister longtemps à son désir envers la jeune fille? La scène où il gave la jeune femme avec du chocolat, jusqu’à l’écoeurement, s’apparente à une forme d’agression larvée. Elle laisse éclater un rapport de domination manifeste.
Les autres patients semblent eux aussi attirés par elle. Peut-être envient-ils sa pureté, sa possibilité réelle de sortir de l’enfer qu’ils semblent résignés à ne pas quitter. Mais ils ne semblent pas capables de se contrôler, pas plus qu’il ne semblent capables de décrocher complètement de leur addicition. La scène où Daria se fait chatouiller par les autres patients symbolisent bien cette relation complexe et ambigüe. Au départ, il s’agit d’une partie de guilis innocente et amusante, mais les chatouilles se font plus appuyés, plus violents, et s’apparentent presque à des attouchements sexuels.
Ce presque provoque la gêne et l’angoisse. Les gestes dépeints ne sont jamais totalement filmés comme des agressions, mais le visage tantôt résigné, tantôt apeuré de la jeune femme, que les cinéastes filment en très gros plan, en dit long sur la façon dont elle les vit. Et comme la situation se complexifie au fur et à mesure, menaçant l’équilibre fragile des relations entre l’adolescente et les autres patients, on ne sait jamais ce qui va bien pouvoir lui arriver dans ce contexte.
Immaculate s’inscrit parfaitement dans la tradition du nouveau cinéma roumain, un cinéma assez froid et austère, souvent dérangeant et thématiquement brutal, qui s’appuie sur des cadrages maîtrisés, une mise en scène efficace et des acteurs impeccables. Ce style est régulièrement salué dans les festivals de cinéma du monde entier depuis le triomphe de Cristian Mungiu à Cannes en 2007. Le film de Monica Stan et George Chiper-Lillemark ne déroge pas à la règle. Il repart avec le Lion du Futur, qui récompense le meilleur premier film de la Mostra, toutes sections confondues.
Contrepoints critiques
”#Imaculat devo rivederlo. È un film potente ma anche molto irritante. Complimenti al comitato di selezione di Giornate degli Autori per averlo scelto.”
(“Je dois revoir Imaculat. C’est un film puissant mais aussi très irritant. Bravo au comité de sélection de Giornate degli autori pour l’avoir choisi”)
(@rotovisor sur Twitter)
”Tempi lenti e a volte asfissianti scandiscono le giornate della ragazza in un film dalle scenografie ospedaliere e severe, quasi monocromatico (i costumi sono tutti giocati sui toni del grigio e del beige) e di stampo teatrale.”
(“Des temps lents et parfois asphyxiants ponctuent les jours de la jeune fille dans un film aux décors hospitaliers austères, presque monochrome (les costumes sont tous dans des tons de gris et de beige) et de forme théâtrale.”)
(Concetta piro – Parole a colori)
Crédits photos : Photographies officielles fournies par La Biennale Cinema