De quoi ça parle ?
A cinquante ans, Michel (François Creton) semble un éternel ado des années 1980. Il porte les cheveux longs, des bagues de hard-rocker, des boucles d’oreilles. Il possède une moto qu’il a fabriquée lui-même et un motto en lettres cloutées sur le dos de son perfecto “Loser”. Il parle comme Renaud, le chanteur, en bon verlan des familles, mais a aussi adopté son côté “Renard” – c’est écrit au-dessus de son garage – avec une double addiction à l’alcool et à l’héroïne.
Ceci lui a coûté son premier mariage et l’a longtemps tenu séparé de son fils aîné. Aujourd’hui, Michel va un peu mieux. Il a réussi un premier sevrage à l’héroïne et vient d’arrêter difficilement la méthadone. Un groupe de soutien d’anciens toxicomanes et alcooliques l’aide à résister à ses vieux démons. Mais il est encore fragile et sa situation est compliquée. Sa seconde compagne, Hélène (Clotilde Courau), avec qui il vient d’avoir un bébé, a décidé de le quitter. Il doit affronter seul son retour à la vie “normale”. A son âge, sans diplôme ni qualification, il doit trouver un boulot pour payer ses factures et payer la pension alimentaire. Il a la garde du bébé un week-end sur deux et a du mal à faire face à cette écrasante responsabilité. Il peut toutefois compter sur l’aide de son fils aîné, Léo (Roméo Creton), qui a finalement réussi à lui pardonner ses dérives, et celle d’un de ses amis du groupe d’anciens alcooliques, Jean-Pierre (Patrick d’Assumçao). Mais quand les problèmes s’accumulent, Michel va devoir rassembler tout son courage pour les surmonter, et abandonner définitivement le statut d’héroïnomane pour celui d’individu héroïque.
Pourquoi on est morgane du personnage et du me-fil?
Parce que Michel, campé magnifiquement par François Creton, attire immédiatement la sympathie, avec son allure, au choix, de grand gamin paumé ou de zonard fatigué. Il est touchant quand il confesse son incessant combat contre l’envie de méthadone, ses difficultés à s’occuper seul de son bébé, ses difficultés à trouver le sommeil et à reprendre un peu de poids, ou amusant quand il essaie de convaincre la conseillère de pôle emploi de lui trouver un poste de mécanicien alors qu’il n’a ni le diplôme ni l’expérience pour cela. “Monsieur, pourquoi avez-vous écrit en tout petit que vous avez un CAP de plomberie?” s’étonne-t-elle. “J’ai pas une gueule à dévisser des robinets, moi”, lui rétorque-t-il, superbe, avec sa gouaille de titi banlieusard.
Surtout, on sent que c’est un type bien. Il a commis des erreurs et a eu le tort de se réfugier dans des paradis artificiels qui ont fait de sa vie un enfer. Mais il a l’envie de s’en sortir, de ne pas retomber dans ses travers. On a vraiment envie qu’il puisse avoir une seconde chance et cela nous permet d’entrer relativement rapidement dans ce récit.
Relativement, car à vrai dire, durant près de vingt minutes, on a une curieuse impression de déjà-vu. A juste titre puisque le film est la version longue du court-métrage Beautiful Loser, qui était composé à peu près des mêmes scènes et des mêmes dialogues, et joué par à peu près les mêmes acteurs. François Creton et Romeo Creton incarnent toujours Michel et son fils Léo. Chad Chenouga remplace Youssef Hajdi dans le rôle du médecin et Clotilde Courau remplace Romane Bohringer dans le rôle d’Hélène. Mais une Bohringer peut en cacher un autre. Ici, Richard Bohringer incarne le père de Michel, personnage qui n’était pas dans le court-métrage précité. La relation entre les deux hommes est tendue. On ne sait pas vraiment si la toxicomanie du fils est à l’origine de ces tensions ou si, au contraires, ces tensions l’ont conduit à prendre de l’héroïne pour s’échapper du milieu familial, mais toujours est-il que les deux hommes se parlent peu.
Les circonstances vont les obliger à renouer l’un avec l’autre, durant quelques jours, et donner au film une autre dimension. Ici, pour le personnage principal, il ne s’agit pas uniquement de prendre conscience de sa responsabilité en tant que père, il faut aussi reprendre sa place en tant que fils et ses responsabilités en tant qu’adulte.
L’épreuve est difficile, car Michel est fragile physiquement, son corps ayant du mal à se remettre du sevrage et de plus de vingt ans d’addictions, et surtout mentalement, car il souffre d’une certaine solitude. Hélène l’a quitté au moment où ils commençaient à se construire une vie à trois. Son fils aîné dort moins souvent à la maison, maintenant, afin de voler de ses propres ailes… Mais le plus compliqué à gérer, c’est le décalage entre ses nombreuses “casquettes”. Il est à la fois un jeune papa, qui redécouvre les contraintes liées à un bébé, et un père de famille vieillissant qui découvre que son fils est adulte. Il est lui-même encore une sorte d’ado rebelle, en butte à l’autorité paternelle, et un quinquagénaire réalisant que son géniteur n’est plus si jeune. Il est à la fois un ex-toxicomane modèle, qui a su se débarrasser de ses démons et peut désormais aider les autres à suivre son exemple, comme la jeune alcoolique qui vient solliciter l’aide du groupe (Clara Poinsot), et un homme sur le point de craquer à nouveau, pour oublier tous ses problèmes.
Pendant tout le film, le personnage évolue sur un fil. On ne sait jamais s’il va s’en sortir ou tomber. Mais l’énergie qu’il met à s’en sortir est communicative, et l’humanité de ceux qui l’entourent réchauffe le coeur.
Les Héroïques repose beaucoup sur les performances de ses comédiens, tous formidables. François Creton tient ici le rôle de sa vie. Richard Bohringer est également impeccable et tout à fait légitime pour jouer dans ce film, lui qui a vécu des moments aussi difficiles que ceux vécus par les personnages. Ariane Ascaride et Clotilde Courau campent deux personnages féminins forts, des femmes qui ont beaucoup encaissé et sont trop fatiguées pour en supporter davantage. Et Patrick d’Assumçao est remarquable dans le rôle de l’ami dévoué, essayant de sauver Michel comme d’autres l’ont aidé lui, auparavant.
A l’écran l’alchimie entre tous les acteurs fonctionne parfaitement.
Mais le film doit aussi beaucoup à la mise en scène de Maxime Roy, qui réussit constamment à trouver le ton juste, sans jamais tomber dans le ridicule, malgré le côté décalé du personnage principal, zonard anachronique, ni dans le pathos qui aurait pourtant pu s’imposer avec tant de malheurs frappant le pauvre Michel. Le cinéaste signe un premier long-métrage très réussi, qui conserve le dynamisme de Beautiful Loser, court-métrage nommé aux César en 2020, tout en l’enrichissant d’une dimension supplémentaire et en multipliant les beaux moments, tout en douceur et en subtilité.
Le film a bénéficié d’une sélection au Festival de Cannes 2021 et est en lice dans la compétition 1ère oeuvre au FIFF de Namur.
Contrepoints critiques
”Maxime Roy aborde des sujets difficiles, à la noirceur palpable, mais ne se repaît jamais du malheur. Sur son anti-héros, il porte un regard implacable mais amène, qui agit comme une lumière dans la nuit.”
(Perrine Quenesson – CinemaTeaser)
”Le film manque d’ambition, d’imagination, d’acuité, de personnalité, et reste bloqué dans un folklore pittoresque de gouaille à gueules.”
(Nicolas Bardot – Le Polyester)
Les Héroïques
Les Héroïques
Réalisateur : Maxime Roy
Avec : François Creton, Roméo Creton, Patrick d’Assumçao, Clotilde Courau, Richard Bohringer, Ariane Ascaride, Chad Chenouga, Clara Poinsot
Origine : France
Genre : Nique-chro siale-so
Durée : 1h39
Date de sortie France : 20/10/2021
Crédits photos : Copyright Pyramide distribution