[Compétition]
De quoi ça parle?
De solidarité et du regard que nous portons sur les autres, mais en empruntant un chemin de traverse escarpé…
Le film suit les mésaventures de Maria (Maria Popistasu), Ilinca (Ilona Brezoianu) et Dan (Alexandru Bogdan), trois volontaires qui, chaque année avant les fêtes, quittent Bucarest pour participer à une opération humanitaire en Transylvanie. Ils préparent des colis d’aide alimentaire et les acheminent en SUV jusque dans les villages les plus reculés de la région, dans des zones montagneuses.
Alors qu’ils sont en route vers Întregalde, ils rencontrent un vieil homme, Kente (Luca Sabin, acteur non-professionnel habitant le village) qui leur demande de le déposer près de la scierie située à quelques kilomètres plus loin, où il dit travailler. Dan rechigne, car cela nécessite de prendre une route boueuse, en pleine forêt, et que leur SUV n’est pas équipé pour ce genre de périple. Mais il se laisse séduire par la perspective de gagner un peu de temps de trajet et de rejoindre plus vite les autres équipes qui les attendent au village.
Evidemment, la voiture finit par s’embourber dans un fossé. Dan suit le vieil homme jusqu’à la scierie et réalise que celui-ci est complètement sénile. L’endroit est abandonné depuis des lustres et il n’y a rien qui puisse aider à dégager la voiture. Pendant ce temps, Maria et Ilinca restent près de la voiture et sont abordés par deux hommes en pickup…
Pourquoi on aime le film malgré ses abords rugueux?
Întregalde joue constamment avec les codes du thriller et du film d’horreur. Dès l’irruption du vieil homme, qui dit travailler à la scierie, on s’imagine le trio de bénévoles finir entre les mains d’une famille de dégénérés comme on en trouve au Texas, découpé façon puzzle à la tronçonneuse. On s’en persuade un peu plus quand la voiture finit dans le fossé au milieu de nulle part, point de départ d’innombrables survivals, ou que les personnages se séparent, comme dans un mauvais film d’horreur. Quand Dan tarde à revenir de la scierie, on le visualise bien finir en kit comme un meuble suédois, victime du vieux fou qui l’accompagne, à plus forte raison quand on apprend que la scierie en question est désaffectée depuis des années. On se demande même, si Transylvanie oblige, le pays du Comte Dracula, le vieillard ne serait pas un vampire, un loup-garou ou un démon de la nuit…
L’irruption du pickup fait encore monter la tension d’un cran. Les deux roms à l’intérieur vont-ils aider les deux femmes ou profiter de leur isolement pour les attaquer? Quand Ilinca part avec les deux hommes en voiture, à la recherche de Dan, va-t-elle seulement revenir?
C’est uniquement sur la base de nos préjugés que nous nous imaginons le pire. Le cinéaste force l’identification à ce trio de citadins animés de bonne volonté et joue sur notre peur inconsciente de ceux qui sont “différents”, qui viennent de milieux différents, de culture différente. On imagine ces personnages en fous furieux, en types sans foi ni loi, en bourreaux alors qu’ils sont en fait des victimes. Victimes de préjugés, à l’image de ces deux roms que les personnages féminins perçoivent comme une menace alors qu’ils ne font que proposer leur aide. Victimes aussi des conditions de vie dans cette région coupée du monde et marquée par un niveau de vie assez éloigné de celui de Bucarest, lui-même plus bas que dans de nombreuses métropoles européennes. Vu comme une menace potentielle pendant l’essentiel du film, Kente n’est rien d’autre qu’un vieillard sénile qui a toujours été traité comme un marginal et vit aujourd’hui perdu entre ses souvenirs et une notion du présent bien floue. Dans cette région montagneuse isolée, il n’y a ni médecin ni maison de retraite. Kente est sous la surveillance du reste de la communauté, qui a d’autres préoccupations que de s’occuper de lui à plein temps.
Le vrai sujet du film est là, dans le regard que l’on porte sur l’autre et dans l’aide que l’on est prêt à lui accorder. La nuit passée par les trois bénévoles sert de révélateur à leur nature profonde et met leur discours humaniste à l’épreuve. Les trois camarades se pensent être des gens biens, qui prennent de leur temps pour aider les gens modestes, mais leur engagement n’est peut-être pas motivé par les mêmes raisons. Certains se voient comme des sauveurs qui vont égayer le Noël de jeunes enfants ou de vieillards isolés qui seront contents d’avoir quelques conserves pour le réveillon. Ils ne font que satisfaire leur égo et soulager leurs consciences. Certes, le geste est déjà louable, mais cette tournée, une fois l’an, ne changera pas vraiment la vie des pauvres gens auxquels ils rendent visite.
La vieille femme à qui Maria, Ilinca et Dan rendent visite en premier les accueille avec méfiance. Elle accepte ce colis qui lui semble incongru, et retourne assez vite à ses problèmes. Avec sa main blessée, elle aurait sans doute préféré bénéficier d’une aide à domicile ou de l’intervention d’un médecin capable de la remettre d’aplomb… De même, offrir une tablette à un enfant de ce village paumé où il est difficile de capter une communication avec un portable est complètement grotesque. Les habitants apprécieraient sans doute davantage l’installation de l’eau courante. Et encore… Ils se débrouillent mieux que ces citadins, bien dépourvus quand la technologie les lâche. Sans voiture, sans téléphone, sans lampe-torche, les trois bénévoles ne sont plus grand chose. Il ne reste que leur personnalité et elle n’est pas toujours très glorieuse.
La gestion du cas de Kente est très emblématique. Dan se montre le plus hostile à la prise en charge du vieil homme. Il refuse tout d’abord de le prendre en stop, avant de se dire qu’il pourrait y trouver son intérêt en empruntant un raccourci. Il se montre désagréable et railleur, puis se désintéresse totalement de son sort quand il le laisse errer la nuit, dans le froid, complètement paumé. Ilinca est un peu moins dure avec le vieillard, mais ne semble pas vraiment se préoccuper de lui non plus. Elle manifeste elle aussi son égoïsme quand elle finit par avoir le maire au téléphone et qu’elle l’agonit d’injures en apprenant qu’il refuse de venir les dépanner avant le lendemain. Seule Maria s’inquiète pour le sort de Kente. Elle est prête à aller le chercher seule s’il le faut, et à s’occuper de lui. On peut penser qu’elle est la seule à l’aider vraiment. Mais là encore, ce n’est qu’une aide temporaire. La voisine de Kente est sans doute celle qui s’occupe le plus de lui, en assurant sa toilette et en l’empêchant autant que possible d’errer dans les bois. Elle préférerait parfois que le vieil homme meure une fois pour toutes ou se perde en forêt car personne ne l’aide à s’en occuper…
Le film alimente une vraie réflexion sur mes notions d’empathie, de solidarité et d’unité. Il montre, sans vraiment juger les personnages de façon catégorique, la difficulté à faire cohabiter des mondes aussi différents, mais montre que cette fracture est aussi la source de bien des maux de notre société, et de nombreuses situations délicates qui pourraient se régler si l’on prenait un peu plus en compte l’existence et les besoins de ceux qui vivent dans la marge.
Le message du cinéaste est assez fin et subtil. Mais pour l’apprécier, il faut accepter de jouer le jeu et se laisser porter par ce récit dans lequel il ne se passe finalement pas grand chose. Un banal accident et l’attente des secours, plus des discussions autour du sort du vieil homme… Beaucoup trouveront le film ennuyeux et frustrant, la tension se dissipant à mesure que le film se déroule. Mais l’intérêt vient justement de l’écart entre les attentes du spectateur et le dénouement du film, qui permet de recentrer l’intrigue sur Kente et de l’imposer comme la vraie victime de ce drame social, finalement aussi terrifiant qu’un thriller.
Contrepoints critiques
“Intregalde : pas évident d’aller s’embourber au fin fond de la Transylvanie, ni de savoir où va Radu Mutean avec cette histoire.”
(Raphaël Clairefond @RaphaelClair sur Twitter)
”Une équipe de cinéastes pleins de bonnes volonté mais qui n’arrivera pas au résultat escompté. Întregalde est un film appauvri d’émotion et de tension.”
(Jacques Marche – Cinechezmoi)
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