Dinard 2021 - Dernier jour + Palmarès
Après une édition 2020 annulée à cause de la pandémie, le Dinard Festival du Film Britannique ouvre à nouveau ses portes. À quelques pas de Saint-Malo, en Bretagne, la 32e édition est sous le signe du renouveau, car le festival se réinvente. Fort de sa compétition de 6 long-métrages et d'une compétition de 11 court-métrages, de nouvelles sections viennent s'ajouter, pour y distinguer toutes les avant-premières. Des catégories qui représentent parfaitement l'identité du cinéma britannique à travers le temps, entre évolution et ce qu'il est aujourd'hui.
Il y a la section « Rocks the casbah », consacrée aux cultures musicales qui ont marqué la Grande-Bretagne depuis plusieurs décennies (du punk au reggae en passant par le rock). Autre marqueur qui a fait la réputation du cinéma britannique, le festival mettra à l'honneur le cinéma de genre. Dans la section « Quelle horreur ! », quatre réalisatrices choisissent le genre pour explorer des thèmes forts. Le cinéma britannique est aussi célèbre pour ses questions sociales, ses drames où la question d'identité est forte. C'est ce que propose la section « To be or not to be », qui pose son regard sur l'universalité des tragédies humaines. Il y aura même une section « It's teen spirit », qui se consacre aux joies et turbulences de l'adolescence, de l'éveil sexuel aux relations familiales, jusqu'à l'émancipation personnelle. Dans toutes ces luttes quotidiennes, on y retrouve également ceux et celles qui défendent des traditions insulaires face à une époque qui ne cesse d'évoluer. La section « Land & sea » pose ainsi son regard sur l'importance de la terre et de la mer dans la difficulté du contemporain. Ce chemin vers les îles ne s'arrête pas là. Parce que le festival ouvre ses portes encore plus grand, en consacrant une section au cinéma irlandais : « Irish eyes ». Enfin, le festival propose aussi de (re)découvrir l'intégrale de la cinéaste Joanna Hogg. Si vous ne connaissez pas son œuvre, c’est une occasion en or pour voir ses cinq films. Une cinéaste pas très connue en France, et pourtant une œuvre à l’identité unique.
Programmation très alléchante, non ? Il faut donc foncer. Surtout que le festival n'aura pas lieu uniquement en présentiel à Dinard. Il aura également lieu en ligne ! Effectivement, de nombreux films seront disponibles sur la plateforme FestivalScope. So, are you ready ?
JOUR 4 : 2 Octobre 2021
Dernier jour avant de partir, pour l'avant-dernier jour de projections. Cette journée a commencé avec la découverte de Creation Stories en compétition. Le film de Nick Moran est un portrait du producteur de musique Alan McGee, qui avait lancé le label indépendant Creation Records. Une chose est certaine, le film se veut autant un tourbillon de musique et d’énergie que la personnalité dont il fait le portrait. C’est une idée comme une autre, mais il va vraiment falloir arrêter ces biopic qui se collent à la personnalité de la célébrité dont ils font le portrait. Comme si le film cherchait à être plus fou que son personnage, sans jamais chercher sa propre identité. Le cinéaste propose un montage frénétique, une mise en scène de l’excès chez les personnages, et un ton toujours décalé. Le film ne semble pas chercher à créer une quelconque rébellion comme son protagoniste, mais l’intérêt du métrage est très flou. Le portrait de Alan McGee ne permet jamais d’explorer l’atmosphère d’une époque, la réduisant à la folie des excès (drogue, alcool, vulgarité, etc) tout en créant la possibilité d’un album avec toutes les musiques du film. Étant un biopic qui ne génère jamais sa propre identité, étant dépendant de quelque chose qu’il ne peut contrôler pour sa forme, le film s’opère dans un rythme très programmatique. La narration en conteur d’histoire (cette interview donnée à une journaliste) est la preuve que le film n’est qu’un leurre, et qu’il n’a de valeur que pour apprendre l’histoire de Creation Records.
CREDIT: Sky
Le leurre est aussi un motif de Sais-tu pourquoi je sautes ? de Jerry Rothwell. Et pourtant, ce n’est jamais son intention. Ceci est un documentaire adapté d’un livre écrit par Naoki Higashida à l’âge de 13 ans. L’adolescent est une personne autiste non-verbale. Le dispositif du film repose sur deux principes : utiliser les écrits de Naoki Higashida et les porter en voix-off comme des réflexions, puis faire le portrait de cinq autres personnes autistes non-verbales à travers le monde. Une chose est certaine, la caméra est toujours à la bonne distance de ses protagonistes, jamais intrusif mais donnant toujours de l’espace nécessaire pour s’exprimer. Grâce à cela, l’image développe une grande empathie pour ses personnages qu’il écoute, un grand respect pour tout le temps qu’il leur accorde (même si le film est assez court), et une poésie émouvante dans la relation entre chaque personnage (surtout une amitié en particulier). Cependant, le documentaire est construit comme une compilation d’expériences résumées en quelques minutes. A cause de cela, Jerry Rothwell réalise une œuvre très didactique, qui tend à expliquer un univers plutôt qu’à le faire ressentir. Très bavard pour pas grand chose, le documentaire manque cruellement de séquences expérimentales supplémentaires (les quelques-unes sont très intéressantes dans ce qu’elles projettent d’un regard inconnu pour bon nombre de personnes) et même de sensorialité. Comme si l’autisme s’adapte au langage filmique, et malheureusement pas du tout le film qui s’adapte à l’univers de l’autisme.
Copyright L'Atelier Distribution
Cette 32e édition du festival de Dinard était également l’occasion de retrouver Clio Barnard avec un nouveau film. Quel plaisir, après les très bons Le géant égoïste et Dark river. Cette année, la cinéaste revient avec Ali & Ava, où le récit étudie à nouveau un duo de personnages qui se rapprochent. Une fois de plus, la cinéaste prouve qu’elle est maître pour montrer et explorer la classe ouvrière britannique. Son univers esthétique est toujours bien présent et reconnaissable. La rudesse des couleurs, l’amertume de l’atmosphère, la fatalité des attitudes, comme une forme qui assomme les personnages et remplit totalement le cadre. Clio Barnard, c’est une poésie terre à terre, qui ne montre jamais sa colère mais qui l’exprime par l’envie de construire quelque chose de nouveau, par soi-même. La violence est toujours présente, mais la cinéaste ne s’y attarde pas fixement. Elle préfère utiliser les sacrifices des personnages pour y intégrer une bulle de poésie et d’espoir. Pourtant, dans Ali & Ava elle se détache progressivement du côté sombre de son approche pour tendre vers une forme plus tendre, plus ouverte. La brume s’écarte petit à petit, et même les espaces intimes (le foyer familial) deviennent une possibilité de renouveau. Il y a tant de chaleur et d’affection dans ce film, que même les conditions sociales des deux protagonistes ne sont plus autant de frein qu’on pourrait le croire. Dans toute leur complexité individuelle, et même dans les complexités de l’existence même (la tragédie de la pauvreté, ou d’être étranger), Clio Barnard montre qu’une simple histoire d’amour peut changer des visages. Même si les menaces sont toujours présentes dans tous les espaces autour des personnages, cette romance est une bataille mélancolique avec un traumatisme bien enfoui. Au point même que la cinéaste se permet, pour la première fois, d’apporter une grande dose d’humour dans son œuvre. Véritable coup de cœur. Il est clair maintenant que Clio Barnard est parmi les cinéastes britanniques les plus importants actuellement.
Photograph: Altitude
Ce qui n’est pas le cas d’Edgar Wright. L’auteur de la trilogie cornetto et de Baby Driver (par exemple), nous revient avec un projet sur lequel il travaille depuis longtemps. Comme il l’évoque dans une vidéo de présentation juste avant le film (faite spécialement pour le festival, ne pouvant venir), Last night in Soho est un film qui le hante depuis plusieurs années. Edgar Wright semble aimer énormément les années 1960 et toute la culture qui va avec, ayant été bercé avec les musiques de cette époque. Il a donc écrit et réalisé ce film, qui parle des années 1960 en Angleterre. La protagoniste Eloise est elle-même une grande passionnée de cette période, au point que ses créations (elle veut être créatrice de mode) sont directement inspirées de ces années. Mais voilà, le cinéaste est dans la lignée de ce qu’il a proposé précédemment. Œuvre acidulée qui cherche à pétiller de toute part du cadre, œuvre ultra généreuse formellement et qui croit que c’est super cool, œuvre qui cherche constamment à impressionner par la beauté de sa reconstitution. Mais voilà, ça tourne à vide. Edgar Wright a tout prévu, il sait parfaitement où il va, et c’est la grande limite de son film. Last night in Soho se veut un hommage aux années 1960, mais ne les explore jamais, ne les montre pas en dehors d’un type d’espace bien particulier. Le film se veut un objet perturbant, mais il ne veut jamais révéler toute la complexité derrière ses belles images (qui sont finalement une vitrine pour montrer comment le cinéaste Edgar Wright maîtrise la technique cinématographique). Le film se veut être une nostalgie profonde, mais n’est qu’un thriller sombre supplémentaire. Plus le récit progresse, plus la forme s’enferme et répète les mêmes motifs inlassablement. Même l’idée des croisements formels et narratifs (sans rien dévoiler précisément) est bien timide, parce qu’elle n’est qu’un jeu de lumières dans le décor. Pétard mouillé dont il ne faut tout de même pas refuser le pouvoir divertissant, car les verrous narratifs et temporels restent intéressants.
Copyright Universal Pictures International France
C’était donc la fin. Encore une édition de passée, et ce fut un immense plaisir de revenir à Dinard pour parler de cinéma britannique. Avant le départ du lendemain matin, il fallait évidemment fêter cela avec une dernière soirée. Tout a commencé avec la traditionnelle soirée DJ au bar du Palais, comme les soirées précédentes. C’était plutôt sympathique, mais il y a toujours cet effet de groupe qui se détache petit à petit, pour continuer la soirée ailleurs. Ce fut le cas. Finir la soirée à 3h du matin se ressent peut-être au réveil le lendemain, mais c’est toujours un bonheur à vivre. Parce que c’est bien de voir des films, mais c’est mieux quand il y a des personnes magnifiques avec qui partager les festivités. Au-delà des images qui restent de chaque film, il y a les souvenirs de tous ces moments en dehors des salles. C’est ça la beauté d’un festival. On se retrouve donc l’année prochaine, pour encore plus de cinéma britannique ! En attendant, voici le palmarès de cette 32e édition présidée par Bérénice Bejo :
Hitchcock du Public Shortcuts : Bound de Joe Carter
Hitchcock du Public longs-métrages : Limbo de Ben Sharrock
Prix spécial du Jury Barrière :Sweetheart de Marley Morrison
Hitchcock de la meilleure interprétation :Nora-Jane Noone et Nika McGuigan dans Wildfire de Cathy Brady
Hitchcock d’Or Ciné + :Limbo de Ben Sharrock