Sur son dernier film "Le Chant du Danube" (1934) le réalisateur Alfred Hitchcock a reçu la visite d'un certain Michael Balcon qui n'est autre que le producteur qui l'a lancé avec son premier film "Le Jardin du Plaisir" (1925). Alors que le cinéaste était en froid avec la BIP (British International Picture), il parle au producteur de son projet en cours d'écriture et Balcon, alors responsable chez Gaumont British en profite pour proposer au cinéaste de le rejoindre. Ca tombe bien, le projet en question est sur Bulldog Drummond, détective privé populaire de roman policier que la BIP trouve trop coûteux à produire. Soucis, les droits appartiennent à la BIP, et si Hitchcock parvient à racheter l'histoire (et à la revendre deux fois plus cher à la Gaumont !) il n'a pas l'autorisation d'utiliser le nom ce qui pousse à revoir un peu sa copie. Néanmoins, cette fois Hitchcock est maître de son destin et obtient une totale liberté. Le réalisateur britannique emprunte le titre à un recueil de nouvelles de G.K. Chesterton, et écrit le scénario avec pas moins de 9 co-scénaristes lors de réunions "joyeuses". Parmi ces scénaristes on trouve logiquement son épouse Alma Reville et son ami Charles Bennett avec qui il a déjà signé "Chantage" (1929) et qui va devenir un collaborateur régulier après ce film. Pourtant ce ne sont que deux scénaristes qui seront crédités "officiellement", Edwin Greenwood et A.R. Rawlinson. Le plus gros soucis est qu'en quittant la BIP Hitchcock perd ses équipes techniques habituelles, il doit donc engager et composer une nouvelle équipe. Hitchcock choisit de nombreux exilés allemands fuyant peur pays devenu nazi à l'instar d'un certain Peter Lorre, et il n'hésite pas à engager des jeunes talents comme H. St. C. Stewart 23 ans monteur, c'est d'ailleurs à partir de ce film que le réalisateur se plaira à former des jeunes qu'on nommera les "Hitch's boys"...
Un couple d'anglais, Bob et Jill sont en vacances avec leur fille Betty dans les Alpes. Ils font la connaissance et deviennent ami avec un français qui se fait assassiner mais qui a le temps de murmurer à Jill un message. Alors que Bob et Jill tente de prévenir le consulat britannique ils apprennent que leur fille a été kidnappé les obligeant à se taire. Alors que le temps passe, le couple va tenter de sauver leur fille tout en assumant leurs rôles de citoyens... Le couple est incarné par Leslie Banks surtout connu pour son rôle titre dans "Les Chasses du Comte Zaroff" (1932) de Irving Pichel et Ernest B. Schoedsack et qui retrouvera Hitchcock pour "La Taverne de la Jamaïque" (1939), puis Edna Best qu'on reverra surtout dans des films comme "Intermezzo" (1939) de Gregory Ratoff et "L'Aventure de Mme Muir" (1947) de Joseph L. Mankiewicz. Leur fille est interprétée par la jeune Nova Pilbeam à qui Hitchcock offrira ensuite le rôle principal dans "Jeune et Innocent" (1937). Parmi les autres acteurs George Curzon retrouvera ses partenaires chez Hitchcock respectivement dans "Jeune et Innocent" et "La Taverne de la Jamaïque", Frank Vosper venait de jouer dans "Le Chant du Danube" et cette même année jouait dans "Le Juif Süss" (1934) de Lothar Mendes, et surtout le terroriste est incarné par Peter Lorre, acteur mythique de "M le Maudit" (1931) de Fritz Lang qui a tout juste fui l'Allemagne nazi, qui retrouvera Hitchcock pour "Quatre de l'Espionnage" (1936), et qui deviendra un des plus grands seconds rôles de Hollywood avec notamment "Casablanca" (1942) de Michael Curtiz ou encore "Vingt Mille Lieues sous les Mers" (1954) de Richard Fleischer. Pour finir citons l'espion français Pierre Fresnay, célèbre Marius de la trilogie de Pagnol composée de "Marius" (1931) de Alexander Korda, "Fanny" (1932) de Marc Allégret et "César" (1936) de Marcel Pagnol lui-même... L'histoire du film est marquée par l'actualité, ainsi on constate que l'attentat peut faire penser à la tentative d'assassinat du président us Roosevelt, le complot renvoie à l'incendie du reichtag en Allemagne par les nazis, l'enlèvement est clairement un clin d'oeil au kidnapping du bébé de l'aviateur Lindbergh, sans compter Saint-Moritz où le film a été tourné qui est en fait le lieu de villégiature du couple Hitchcock depuis leur lune de miel ! Et on peut noter la mise ne garde avec l'allusion judicieuse à l'éventualité d'une autre guerre mondiale !
Ce qui frappe d'emblée c'est que le réalisateur impose un rythme assez soutenu lié à un humour pince sans rire omniprésent malgré le drame. Du concours de tir avec le face à face homme-femme qui aura son duel retour au flic qui prend un bonbon sous l'oeil incrédule du commerçant, le sourire s'engouffre ainsi dans le récit subrepticement. Un climax forcément marqué par l'espionnage de fond mais aussi imprégner de légèreté, choix de Hitchcock qui se serait inspiré de la BD "L'Homme d'une Seule Note" (1921) de H.M Batement, où un musicien attend l'instant fatidique où il doit donner son seul coup de cymbale. Le cinéaste demandera à son compositeur Arthur Benjamin un morceau musical spécial pour cet instant fatidique du concert. Malgré tout, il y a quelques bémols ; par exemple la séquence bien maladroite du subterfuge pour se faire passer pour un dentiste dans la pénombre un peu gros mais ça passe grâce à la pénombre mais 2 criminels qui discutent affaires devant un client inconnu ce qui fait particulièrement amateur, on reste éberlué par le tir ultime assuré fusil à la hanche à une grande distance alors qu'à l'épaule cela n'a pas été concluant quelque temps avant. Mais le plus décevant reste la dernière partie avec une fusillade trop longue, sans grand intérêt, qui sera par ailleurs cause de la censure notamment aux Etats-Unis où la violence du film est comparée à celle de "Scarface" (1932) de Howard Hawks ! L'autre soucis reste la disparité dans performances d'acteurs, Pierre Fresnay impose la classe à la française, et on ne peut qu'être séduit par le magnétisme de Peter Lorre, citons aussi l'émotion de la jeune (14 ans) Nova Pilbeam, mais on n'en dira pas autant des parents, Leslie Banks et Edna Best, trop statiques, trop stoïques, surtout Banks dont on ne décèle jamais une once d'émotion même quand sa fille est en danger. Néanmoins, Hitchcock signe avec ce film le premier vrai succès international, celui qui va lui entrouvrir les portes de Hollywood. Malgré ses maladresses, le rythme soutenu, une intrigue prenante, un méchant d'envergure font de ce film le meilleur du cinéaste depuis "The Lodger" (1927). Plus étonnant vu l'accueil chaleureux à sa sortie, Hitchcock signera pourtant un auto-remake avec "L'Homme qui en Savait Trop" (1956) avec James Stewart, mais ceci est une autre histoire...
Note :
14/20