Avec : Alexia Keogh, Karen Fergusson, Kerry Fox,...
Distributeur : Mission
Budget : -
Genre : Comédie dramatique, Biopic
Nationalité : Néo-zélandais, Australien, Britannique, Américain
Durée : 2h38min
Date de sortie : 24 avril 1991
Date de reprise : 20 octobre 2021
Synopsis :
Divisé en trois chapitres, qui portent les titres des trois parties de l’autobiographie de Janet Frame (To the Is-land, An Angel at My Table et The Envoy from Mirror City) le film de Jane Campion retrace les débuts difficiles de cette femme, issue d’une famille nombreuse dans un milieu ouvrier, qui se distingue très tôt par ses dons littéraires et son goût pour la poésie. Lorsqu’elle étudiait à l’université avec le rêve de devenir enseignante, elle fut arbitrairement internée en hôpital psychiatrique et diagnostiquée schizophrène. Enfermée pendant huit ans, elle subira deux cents électrochocs et échappera de justesse à une lobotomie. N’ayant jamais cessé d’écrire, c’est sa notoriété grandissante et la chance d’avoir été publiée qui lui permettront enfin de quitter l’asile et de commencer une nouvelle vie, en voyageant en Angleterre et en Espagne.
Jamais sensationnaliste et tout en pudeur,#UnAngeÀMaTable incarne un voyage introspectif et une expérience unique d’un destin de femme. Janet Frame s’inscrit dans le panthéon des héroïnes Campioniennes, qui ne cessent jamais de se battre pour exercer leur liberté (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/qcPPqDRaL6
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 20, 2021
Jane Campion était à l’honneur durant le dernier Festival Lumière, où elle a présenté en avant-première son nouveau long métrage, The power of the dog. Mais le festival était aussi l’occasion de se concentrer sur sa filmographie et les films de ses débuts. Et comme le hasard fait bien les choses, Un ange à ma table, son deuxième long métrage, ressort dans nos salles cette semaine, dans une version restaurée. Un événement à ne surtout pas manquer !
Pendant le tournage de son premier film de cinéma, Sweetie, la scénariste de Jane Campion, Laura Jones, a la lourde tâche d’adapter les trois ouvrages autobiographiques de Janet Frame, une autrice néo-zélandaise. Produit en premier lieu pour la télévision, en trois parties distinctes, le film sera par la suite condensé en une seule et envoyé à la Mostra de Venise en 1990, où la cinéaste obtient, à sa grande surprise, le Grand Prix du Jury. Elle confie lors d’une interview à Venise : « J’ai toujours pensé que ce serait un film pour le petit écran. Je n’imaginais pas que quiconque ait envie de voir cette histoire au cinéma ». Découpé en trois parties, trois livres différents, To the Is-land, An angel at my table et The Envoy From Mirror City, Un ange à ma table se forme autour du personnage principal, Janet Frame et devient une véritable épopée féminine, une expérience singulière des étapes de sa vie. De son enfance fragilisée par un drame, à sa vie d’adulte, construite dans un asile psychiatrique, puis par un voyage vers l’Europe et l’écriture de ses romans.
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Ce qui frappe en premier lieu, c’est la fluidité avec laquelle le film passe d’une partie à une autre, d’une actrice à une autre. Pour permettre à la réalisatrice de parcourir l’ensemble de la vie de Janet Frame, trois actrices différentes endossent son rôle. Alexia Keogh offre le regard d’une petite fille honteuse de sa condition, de ses cheveux, de la saleté de sa famille et fait tout pour être aimée de ses pairs. Mais la découverte de poèmes et son talent pour en écrire changent la donne. Ensuite vient Karen Fergusson, qui découvre le corps adolescent de Janet. Les premières règles, les premiers désirs (son professeur), expériences qu’elle partage avec ses trois sœurs, dans une ambiance sororale décomplexée, que n’aurait pas renié Louisa May Alcott. Enfin arrive Kerry Fox, la Janet adulte, celle qui décide d’embrasser une carrière d’autrice, celle qui voyage en Europe mais aussi celle qui a la lourde tâche de subir les traitements de choc pendant huit ans en hôpital psychiatrique. Jane Campion utilise la voix-off pour que les changements soient imperfectibles, des moments uniques où la Janet narratrice, celle de ses mémoires, se raconte, accompagnée d’images symboliques. Quand la petite Janet marche vers nous, dans un plan d’ensemble où sa minuscule silhouette et sa chevelure rousse se détache de l’herbe verdoyante. Quand l’adolescente découvre le pouvoir des mots sur ses propres émotions en lisant The Scholar Gipsy de Matthew Arnold. Et la Janet adulte, lisant sur une voie ferrée Lavengro de George Borrow, sa voix nous permettant d’avoir accès à ce que lisent ses yeux.
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C’était d’ailleurs une des angoisses de la réalisatrice, d’arriver à mettre en image l’acte d’écrire, de mettre en avant les mots. Jane Campion admet volontiers son embarras du peu de séquences tournées où Janet écrit. Pourtant, il n’y a pas de doutes, Un ange à ma table est bien un film sur la littérature et sur son influence. Pour montrer cela, la cinéaste inclut de nombreuses séquences où des poèmes sont évoqués, cités, déclamés. Une scène montre Janet replacer sa sœur Myrtle sur son envie d’utiliser le mot “toucher” (touch) dans le poème qu’elle doit écrire, quand bien même celle-ci lui annonce que ce n’est pas un mot poétique. Janet est émerveillée devant une professeure qui récite avec passion un passage de Tennyson. Elle visualise même l’épée Excalibur dans la main de Miss Lindsay (interprétée par la mère de Jane Campion, Edith). La cinéaste utilise également le pouvoir de l’image pour baigner son film d’une atmosphère poétique, aidée par les paysages lumineux de la Nouvelle-Zélande. Elle inscrit son personnage dans le décor et fait en sorte que Janet soit au diapason avec lui. Quand elle découvre qu’un de ses poèmes est publié dans un journal, le ciel est rouge, comme ses cheveux et illumine l’héroïne, émue de se lire. Janet fait aussi corps avec son environnement quand elle décide de vivre de sa plume, sous l’égide d’un mentor écrivain. L’aspect bucolique de sa petite maison ouverte sur la campagne, baignant d’une douce lumière qui accompagne les bruits de sa machine à écrire, l’aide à terminer son premier roman et à être publiée. Janet Frame est si profondément attachée à la terre qu’elle sera à chaque fois malade sur les ferrys qu’elle prend pour son départ vers l’Europe et son retour au pays natal, à la mort de son père.Jane Campion filme l'enfance de Janet et les liens entre sœurs avec une infinie douceur, propre à offrir un contrepoint puissant lorsque le personnage perd deux d’entre elles, à quelques années d’intervalle. Liées par leur expérience commune du corps et de ses transformations, par leur passion pour la représentation (comme les sœurs March) lors d’une sublime séquence dans la forêt où elles reprennent un conte des frères Grimm, la séparation n’en est que plus déchirante. La dépression qui s'ensuit sera diagnostiquée en schizophrénie pour Janet. Avec une mise en scène beaucoup plus naturaliste, Jane Campion filme ces séquences en ne quittant jamais le point de vue de son personnage. Pour ce passage, absent des livres, la cinéaste et sa scénariste se sont inspirées d’un autre livre de Janet Frame, Visages noyés, emprunt d’une souffrance perfectible. Jamais sensationnaliste, la cinéaste filme avec pudeur les traitements qui lui sont infligés et préfère se tourner vers le visage de Janet, miroir des changements et de l’évolution de son état mental.
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Un ange à ma table détient un statut à part dans la carrière de Jane Campion, un voyage introspectif et une expérience unique d’un destin de femme. On lui prête sans mal une identification marquée à cette héroïne pour qui créer devient sa raison de vivre. Cela vient peut-être de la façon dont la cinéaste la filme, avec admiration et respect des épreuves qu’elle a dû traverser. Vulnérable comme Kay ou Ruth, touchante comme Ada ou Fanny. Désireuse de voyager comme Isabel et de connaître l’amour sensuel comme Frannie. Janet Frame s’inscrit dans le panthéon des héroïnes Campioniennes, qui ne cessent jamais de se battre pour exercer leur liberté.
Laura Enjolvy