[CRITIQUE/RESSORTIE] : Pandora

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Pandora
Réalisateur : Albert Lewin
Avec : Ava Gardner, James Mason, Nigel Patrick, Sheila Sim, ...
Distributeur : Carlotta Films
Budget : 1 500 000 $
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Britannique
Durée : 2h04min
Date de sortie : 4 juillet 1951
Date de reprise : 27 octobre 2021
Synopsis :
À la fin de l’été 1930, deux corps sont repêchés au large du village d’Esperanza, en Espagne. Quelques mois plus tôt, la chanteuse américaine Pandora Reynolds enflammait les cœurs de tous les hommes de la région. Suite à un pari, elle se fiance avec Stephen Cameron, un pilote automobile britannique. Un soir, Pandora observe un yacht amarré dans la baie et décide de s’y rendre à la nage. Elle fait alors la rencontre de son propriétaire, Hendrick van der Zee, qui n’est autre que le Hollandais volant de la légende : un homme condamné à errer sur les océans pour l’éternité, jusqu’à ce qu’il trouve une femme prête à mourir pour lui...
Critique :

#Pandora est un film où le public erre pour trouver le chef-d'œuvre annoncé. Il faut laisser le temps s’écouler pour que l’envoûtement mythique prenne place dans le destin funèbre de son héroïne, délestant son rôle de femme fatale pour embrasser son libre arbitre (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/KVEnZCm6m9

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 26, 2021

Alors que le film a commencé depuis une dizaine de minutes, Ava Gardner apparaît à l’écran. Beauté froide dans une lumière tamisée, elle se met devant un piano et chante d’une voix douce. Telle une sirène terrestre, elle nous hypnotise. Elle chante l’amour véritable, celui que le personnage ne connaît pas encore mais sent pourtant au fond de son cœur. Un chant d’amour devenu chant de mort, tandis que Marcus Goring se suicide par amour pour elle. Pandora, réalisé en 1951 par Albert Lewin, mélange image macabre avec un destin romanesque, au travers de mythes et de légendes, terrain propice pour une liberté filmique que le réalisateur embrasse tout à fait. Film dramatique classique sur le papier, il se démarque pourtant pour devenir une œuvre envoûtante grâce à un récit méandreux et à une mise en scène millimétrée. Il ressort en salles, dans une version restaurée 4K, où l’on pourra apprécier la beauté picturale de l'œuvre.
Ava Gardner, vénus hollywoodienne, tombe sous le charme de l’Espagne pendant le tournage de Pandora. Elle s’y installe peu de temps après, fuyant ainsi Hollywood, la presse à scandale et les assiduités des acteurs et producteurs, charmés par sa beauté. À l’image de son personnage, Pandora Reynolds, Ava Gardner est une boîte à fantasme, créée pour captiver les spectateur⋅trices. Les acteurs se sont bousculés pour avoir le privilège de tourner avec elle, les producteurs l’ont fait suivre, jaloux de ses relations avec les hommes. L’image devient floue devant Pandora. Voit-on le personnage ou l’actrice ? Beauté purement hollywoodienne au premier abord, insensible et presque cruelle, Albert Lewin la transforme, lui enlève le poids du regard scopique pour en faire une femme libre.

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Pandora

© 2020 COHEN FILM COLLECTION LLC © 1951 DORKAY PRODUCTIONS, INC.

© 1978 ROMULUS FILMS, INC. © 1978 RAYMOND ROHAUER. Tous droits réservés.


Albert Lewin, scénariste, réalisateur et producteur new-yorkais, est une figure de l’ombre d’Hollywood. Son nom demeure peu connu malgré son adaptation très prisée qu’il a réalisé du livre Le portrait de Dorian Gray. Cinéaste érudit, passionné de littérature, il insuffle des références poétiques pour mieux sonder la flamboyance des émotions. Dans Pandora, son scénario emprunte autant à la mythologie grecque (la boîte de Pandore), à la légende marine (le bateau fantôme du hollandais volant) qu’à la poésie perse d’Omar Khayyam (le Rubaiyat).
Pandora, histoire d’amour et de mort, ne cesse d’échapper à la dimension dramatique classique. Si le récit suit une ligne toute tracée, amenée par le flash-back (nous connaissons déjà la fin), le film finit par se perdre dans les méandres d’intrigues et sous-intrigues, narration disparate suscitant une interrogation grandissante. L’histoire du hollandais volant apparaît alors, racontée par le personnage lui-même (impeccable James Mason), en plein milieu du film, comme une entracte à la narration. Les éléments scénaristiques, mis bout à bout, décortiquent les mythes pour leur enlever toute dimension chimérique. C’est un long processus, un labyrinthe, où tel un Dédale cinéaste, Albert Lewin finit par s’élever au-dessus des codes romanesques.

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Pandora

© 2020 COHEN FILM COLLECTION LLC © 1951 DORKAY PRODUCTIONS, INC.

© 1978 ROMULUS FILMS, INC. © 1978 RAYMOND ROHAUER. Tous droits réservés.

Avec une mise en scène très marquée par une symbolique presque dalienne, l’image convoque la peinture mais également la photographie, notamment celle de Man Ray, ami du réalisateur, qui a créé l’étrange échiquier du film. Son approche surréaliste du corps des femmes, qu’il découpe et morcelle à sa guise, se retrouve dans le cadre. Dans une sublime séquence nuitée, Pandora demande à son futur fiancé de faire basculer sa voiture de course par-dessus bord en guise de preuve d’amour. Un plan vient magnifier la scène, où le corps allongé d’Ava Gardner se positionne au premier plan, sa tête faisant face au ciel bleu-nuit, tandis que Stephen (Nigel Patrick) la surplombe au second plan. Alors que le jeu de pouvoir pouvait pencher du côté de Pandora, demandant d’une cruelle façon de choisir entre elle ou la passion de Stephen, ce plan enferme le personnage dans une image érotique de la femme, sur le point d’être soumise à un homme. Elle vient d’accepter les avances d’un de ses prétendants, presque à contre-cœur, quelques temps après avoir vu un homme se tuer pour elle. Pourtant, alors que ses fiançailles datent de plusieurs minutes, elle se déshabille et nage, nue, vers un mystérieux bateau, au large de la côte espagnole, comme pour échapper à son destin de personnage enfermé dans un rôle passif. Albert Lewin jouera avec les codes mélodramatiques tout au long du film, déplaçant sans cesse les attentes. Alors que l’émotion pourrait s’insinuer dans les monologues emphatiques sur une tragique histoire d’amour et de malédiction, le cinéaste s’attache à des détails du corps pour permettre à sa narration de prendre de l’ampleur. Les yeux embués de Ava Gardner, la transpiration de James Mason pour souligner son agonie à repousser la femme qu’il aime sont des éléments viscéraux, propre à laisser apparaître un désir frustré et inassouvi. La photographie se fait sombre, dans une Espagne pourtant très chaude et colorée, pour mieux accompagner les tourments amoureux, où seule la lecture de poèmes ou de récits mythiques apporte de la lumière (indispensable pour lire).

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Pandora

© 2020 COHEN FILM COLLECTION LLC © 1951 DORKAY PRODUCTIONS, INC.

© 1978 ROMULUS FILMS, INC. © 1978 RAYMOND ROHAUER. Tous droits réservés.


Pandora est une œuvre où le/la spectateur⋅trice erre jusqu’à trouver le chef-d'œuvre annoncé. Il faut laisser le temps s’écouler, comme un sablier, laisser l’envoûtement mythique prendre place jusqu’au destin funèbre de Pandora Reynolds, qui se déleste de son rôle de femme fatale pour embrasser son libre arbitre.
Laura Enjolvy
[CRITIQUE/RESSORTIE] : Pandora