[CRITIQUE] : Last Night in Soho

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Edgar Wright
Acteur : Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Matt Smith, Terrence Stamp, Diana Rigg,...
Distributeur : Universal Pictures International France
Budget : -
Genre : Thriller, Épouvante-horreur.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h57min
Synopsis :
Last Night in Soho met en scène l’histoire d’une jeune femme passionnée de mode et de design qui parvient mystérieusement à retourner dans les années 60 où elle rencontre son idole, une éblouissante jeune star montante. Mais le Londres des années 60 n’est pas ce qu’il parait, et le temps semble se désagréger entrainant de sombres répercussions.


Critique :

Même s'il se perd un brin dans un dernier tiers surexplicatif et gentiment psychédélique,#LastNightinSoho incarne une odyssée lyrique et sensorielle sophistiquée et prenante, ou Wright croque une observation sinistre de la nature dangereuse de la nostalgie et de son appropriation pic.twitter.com/VrIWVw45sL

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 27, 2021

Il y a quelque chose d'assez fascinant et jouissif, même s'il a une forte tendance à rester enlacé dans le cocon de ses nombreuses références, à l'idée de voir Edgar Wright chercher à continuellement se mettre au défi et à - partiellement - quitter sa zone de confort.
Après le heist movie romantico-musical - Baby Driver -, le documentaire didactique et enlevée - The Sparks Brothers -, il laisse parler la part sombre de son cinéma avec Last Night in Soho, lettre d'amour Tarantinesque au cinéma d'exploitation des 60s/70s, louchant autant sur les cinémas d'Hitchcock et Polanski que sur le film de fantômes et le bis rital à forte tendance giallo.
Thriller psychologique excentrique et richement atmosphérique, vissé sur double temporalité lui permettant de brillamment capturer le faste, le glamour et la crasse du Swinging London des années 60, le film prend son temps pour installer aussi bien la dualité de ses enjeux que pour présenter les contours du récit initiatico-nostalgique et la quête de résilience d'Éloïse, une jeune femme profondément marquée par la vie.

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Une héroïne empathique au présent désenchanté dont l'obsession sérieuse pour les 60s va la plonger dans une sorte de rêve un temps confortable et cotonneux ou elle incarne son opposée, Sandie (une wannabe chanteuse confiante et téméraire); un songe qui se transformera lentement mais sûrement en cauchemar paranoïaque et schizophrène, lourd tribut pour avoir chercher à valser avec les fantômes du passé...
Si sa trilogie Cornetto - et sa formidable sitcom Spaced  - capitalisaient sur une jeunesse ayant le besoin d'embrasser l'âge adulte pour évoluer, volontairement ou non, Wright continue de théoriser sur ce difficile passage à l'âge adulte avec ses opus suivants, tant Scott Pilgrim vs The World, Baby Driver et même ce Last Night in Soho, qui ont juxtaposés cette nécessité d'autonomisation (et de trouver sa place dans le monde) avec une compréhension mais surtout une acceptation nécessaire de soi.
S'il est toujours plus ou moins parti d'une introspection intime tout en restant discrètement politique (même s'il a subtilement creusé le conservatisme exacerbé de la campagne anglaise autant que les travers du conformisme), le cinéaste bifurque cette fois, bien aidé par l'apport de la plume de Krysty Wilson-Cairns, vers une universalité et une un féminisme explicite et furieusement actuel, criant avec sincérité son désespoir et son indignation face à la manière dont l'industrie du divertissement - et plus directement la société en elle-même - utilise, exploite et abuse des femmes, tout en fustigeant l'expression souvent infondée du " c'était mieux avant ".

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Car elle est sans doute là, l'évolution la plus notable du cinéma de Wright, sa propension boulimique à dégainer une pluie de références au cinéma et à la culture pop qu'il chérit tant (quitte à tomber, à nouveau, dans une utilisation marquée d'une bande originale jukebox qui se fait parfois trop imposante), se voit cette fois doublé par un examen fougueux et sinistre de la nature dangereuse de la nostalgie et de son appropriation, une mise en alerte de l'idéalisation biaisée et fétichiste de ce que l'on pense connaître au travers de nos souvenirs, de nos croyances et de nos fantasmes.
Une observation qui devient vite une introspection étonnante et presque libératrice donc, tant elle lui permet de réaliser certaines des séquences les plus puissantes de sa carrière, bien aidé autant par la photographie virtuose de Chung Chung-hoon, que la partition totalement vouée à sa cause, du superbe tandem Thomasin McKenzie/Anya Taylor-Joy.
Alors tant pis s'il est définitivement moins à l'aise au présent qu'au coeur de sa fantastique machine temporelle, entre quelques rebondissements telephonées et un dernier tiers surexplicatif et gentiment psychédélique, Last Night in Soho est une odyssée lyrique et sensorielle sophistiquée et envoûtante.
Une invitation fun et sombre dans le Londres d'autrefois pour mieux comprendre les fêlures de notre présent, ou l'horreur ne se fait pas tant un frisson glaçant qu'un vertige pervers sur notre propre perception de nos craintes intimes.
Jonathan Chevrier

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Après Baby Driver et un documentaire sur les Sparks Brothers, Edgar Wright revient avec un film qui le « hante depuis longtemps », pour le citer. Il semblerait qu'il a travaillé sur Last Night in Soho pendant de nombreuses années, avant que ce soit « le bon moment pour qu'il se réalise ». Un film qui se veut un hommage aux années 1960 au Royaume-Uni, que ce soit à travers la culture, la mode ou l'atmosphère. Jusqu'à faire de la protagoniste Eloise (incarnée par Thomasin McKenzie) elle-même une grande passionnée par cette période. La jeune femme s'en inspire constamment. Elle écoute beaucoup de musiques issues des années 1960, et rêve d'être une créatrice de mode. Pour ses créations, elle fait toujours référence aux vêtements et mélange de couleurs de la période, lorsqu'elle conçoit ses croquis au sein de l'école londonienne qu'elle a rejoint. Evidemment, ce personnage remplit de rêves innocents est embarquée dans une dramaturgie qui, elle, n'est pas très inspirée. Il faut croire que l'inspiration choisit ses moments. Eloise est harcelée par une camarade, à tel point qu'elle souhaite quitter son logement dans l'école pour en trouver un ailleurs, où elle pourrait être seule. On y retrouve cette affection du cinéaste pour les petits coins urbains devenus secrets qu'il transforme en espaces chics. On y retrouve également le glissement vers la série B, où une dramaturgie intime devient finalement un divertissement de collectif.

Copyright Parisa Taghizadeh / Focus Features


Toutefois, les ressorts comiques qui ont fait le succès du cinéaste (telle la trilogie Cornetto ou Scott Pilgrim) sont délaissés depuis Baby Driver. Depuis, ces motifs ont cédé leur place à un exercice plus sérieux et soutenu, dans le but de tendre vers le thriller. Voire même vers l'horreur, dans le cas de Last Night in Soho. Notamment avec ce discours sur l'aliénation à vivre à Londres, avec toute la perversion des gens et l'angoisse de la grosse fumée. Jusqu'à ce studio en plein Londres que Eloise réussit à se payer en étant étudiante, qui fonctionne comme un portail dans le temps. Tous les indices menant à l'horreur et au fantastique sont là. Des éléments qui permettent à Edgar Wright d'entrer enfin dans les années 1960, en accompagnant Eloise qui parcourt un Soho rétro et glamour, comme issu de ses rêves. La grande limite du film commence ici même. Le cinéaste ne lésine jamais sur les détails dans le décor, tel un trop plein de sucre. Le cadre pétille de partout, parce que Edgar Wright est une nouvelle fois ultra généreux dans ses images, et continue de croire que c'est super cool, et même que c'est suffisant. C'est une œuvre qui cherche constamment à impressionner par la beauté de sa reconstitution, mais qui tourne à vide. Edgar Wright a tout prévu, sait exactement et précisément où il va ; tout est balisé sans se laisser la moindre liberté de s'écarter du chemin. Si seulement il ne s'agissait que des rebondissements scénaristiques paresseux, mais non. Dans cette vaine démesure des décors, c'est un sombre mystère qui contrôle les corps, le cinéaste ne devenant qu'un tributaire de son histoire.

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Pourtant, le geste se réclame être un hommage aux années 1960. Mais pour cela, il aurait fallu réellement les explorer. Edgar Wright confond ici trop facilement et naïvement la passion avec l'obsession. Que ce soit le récit ou par extension la mise en scène, tout s'enferme dans un même type d'espace. Alors que le cauchemar du fantastique s'invite très rapidement dans le film, il faut quand même passer plus d'une heure et demi face à une répétition de motifs. Les effets visuels sont constamment recyclés, les décors sont interchangeables, les relations entre les personnages sont tellement fixes qu'elles deviennent hésitantes, et le nombre d'espaces visités sont trop limités. Il serait possible de voir dans ces motifs une réminiscence des plus belles œuvres de la Hammer. Mais Last Night in Soho est si timide et obsédé par l'élégance, que les grands Roy Ward Baker, Jimmy Sangster, Peter Sykes, Terence Fisher et Val Guest n'ont rien à craindre. Il y a bien cette idée des visions et même celle de la dualité entre beauté / sauvagerie. Mais les différences sont nombreuses : il n'y a pas réellement d'excès esthétique, l'ambiance proposée par Edgar Wright n'est jamais réellement angoissante ou ambiguë, il ne cherche jamais la déviation perverse, il préfère peindre le mystère (ou le choc horrifique) que la souffrance, et il rejette tout côté malsain possible de la dimension fantastique. Le film se veut un objet perturbant, mais il ne révèle jamais toute la complexité qu'il pourrait avoir derrière ses images. Celles-ci ne deviennent que des vitrines, pour montrer à quel point la reconstitution est somptueuse et à quel point le cinéaste maîtrise tous les aspects techniques (se retrouver fasciné par une séquence de making-of plutôt que ce que pourrait montrer la scène en est une preuve).

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Ce serait une version endimanchée des films les moins inspirés de la Hammer. Last Night in Soho prétend se composer sur une nostalgie profonde, mais n'est finalement qu'un thriller sombre supplémentaire. Même si la résolution du récit est quelque peu marquante par son énergie et ses hallucinations visuelles, c'est tout le chemin parcouru pour en arriver là qui est chaotique et très creux. Cela dit, Edgar Wright et Krysty Wilson-Cairns réussissent à parsemer des personnages secondaires qui errent dans les trames du récit. Dans une volonté de brouiller les pistes, ils permettent de laisser des portes ouvertes pour la protagoniste, et de créer quelques ruptures de ton bienvenues dans cette vitrine formelle. Cela n'empêche pas non plus que, plus le récit progresse, plus l'esthétique s'enferme et répète les mêmes motifs inlassablement. Jeux de miroirs intempestifs, des couleurs tape-à-l'œil partout, un agrandissement permanent de la perception des espaces, des rues qui n'en finissent plus pour accueillir les courses des personnages. Voilà le programme du film, qui cherche constamment les croisements formels, alors que les regards se dirigent toujours dans le hors-champ. Comme si les images nous priveraient de pouvoir profiter de l'ensemble d'un seul et même espace. Même si les verrous narratifs et temporels sont intéressants sur le papier, ils sont mis en scène avec autant de limites visuelles que le paysage a de frontières dans son exploration. Parce que Edgar Wright est plus convaincant lorsqu'il convoque le fantastique et l'horreur que lorsqu'il veut convoquer les années 1960. Il ne faut pas amputer le petit pouvoir divertissant du film, ni même les efforts de Thomasin McKenzie et Anya Taylor-Joy. Mais Last Night in Soho est bel et bien un pétard mouillé.
Teddy Devisme