[CRITIQUE] : Affamés

[CRITIQUE] : Affamés
Réalisateur : Scott Cooper
Acteur : Keri Russell, Jesse Plemons, Jeremy T. Thomas,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Épouvante-horreur, Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h39min
Synopsis :
Dans une petite ville minière de l’Oregon, une institutrice et son frère policier enquêtent sur un jeune écolier. Les secrets de ce dernier vont entraîner d’effrayantes conséquences.

Critique :

Avec #Affamés, Cooper fait de sa 1ère incursion dans l'horreur une expérience aussi réflexive qu'intimement tragique, frappée par une violence brutale et psychologique parfois dérangeante. Une plongée sombre et nihiliste dans la folie et le désespoir d'une humanité désenchantée. pic.twitter.com/rXJnfgcNEd

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 30, 2021

Dans un septième art US gavés de récits horrifiques éculés voire même profondément paresseux, il y a quelque chose de presque admirable à voir tout cinéaste être un tant soit peu décidé à être ambitieux et à vouloir briser du moule, même s'il n'est pas toujours capable de tenir toutes les promesses de son concept.
Pas forcément connu pour être un cinéaste prompt à pouvoir croquer une bande horrifique (même s'il sait pointer du bout de la caméra, l'horreur bien réelle et la détresse désespérée de l'Amérique des laissés-pour-compte), Scott Cooper saute pourtant le pas et incarne finalement le partenaire parfait à un Guillermo Del Toro producteur, pour adapter la nouvelle de Nick Antosca - également co-scénariste du film -, The Quiet Boy, faisant du Wendigo (une entité surnaturelle à bois inspirée du folklore amérindien), le coeur de son épouvante si ce n'est originale, au moins profondément captivante.

[CRITIQUE] : Affamés

Copyright Walt Disney Germany


Catapulté dans une ville reculée de l'Oregon, l'histoire est vissée sur deux adultes toujours aux prises avec les cicatrices émotionnelles de leur éducation violente et abusive, l'enseignante Julia Meadows et son jeune frère shérif, Paul.
Les deux s'inquiètent du bien-être d'un jeune élève de l'école locale, Lucas, dont les sombres secrets et les maux qui le frappent, sont révélés à travers certains de ses dessins très élaborés.
De manière totalement imprévu, ils se retrouvent à poursuivre une mystérieuse créature à travers une nature sauvage et implacable, avec l'espoir de l'arrêter avant qu'elle ne tue à nouveau...
Tout est annoncé sans le moindre suspens dès son titre furieusement évocateur, Affamés : tout n'est question que de faim insatiable et douloureuse au sein du film de Cooper, à la fois de manière littérale et métaphorique.
Que ce soit dans la façon dont Julia (formidable Keri Russell) dévore de désir les bouteilles d'alcool qui passe devant ses yeux, celle que Lucas (la révélation Jeremy T. Thomas) a en enviant la vitrine d'un magasin de crème glacée, celle que son propre père est bouffé par sa toxicomanie, celle que le monstre a - viscérale et de plus en plus imposante - ou même celle, désespérée, que Paul (Jesse Plemons, impeccable) a en voulant goûter à nouveau, à la douceur et au réconfort - même dysfonctionnel - du cocon familial.

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D'un certain côté, le monstre lui-même inédit et spectaculaire -, fruit d'un folklore local qui se nourrit de la croyance et de la répétition de son histoire au fil du temps et des générations, n'est que l'incarnation mythique de toutes ces luttes pour trouver la satisfaction et combler un vide intérieur sans fond.
Tous les personnages humains de l'histoire, à la fois consommateurs et contributeurs de cette faim, ont tous leur propre monstruosité intérieur, et plus Cooper s'amuse à psychologiser les événements bestiaux qu'il déroule froidement à l'écran, plus son horreur devient dérangeante et réelle; si la créature à cornes laissent des cadavres démembrés et ensanglantés, les hommes et les femmes eux aussi, peuvent endommagés les corps et les âmes, et les marquer en profondeur et de façon indélébile.
Jonglant entre un réel sauvage et un surnaturel macabre, gentiment enlacé entre le film de monstres et le body horror Cronenbergien - jusque dans son dénouement déchirant -; Affamés est une vraie oeuvre protéiforme qui fait fit de ses nombreux aspects familiers, pour mieux s'en servir comme d'une allégorie des horreurs autrement indicibles des abus domestiques (et plus directement, de la maltraitance sur les enfants et de son héritage intergénérationnel), des ravages de la toxicomanie et même de l'exploitation coloniale.

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Jouant subtilement des nombreuses ambiguïtés qu'il cultive ainsi que des codes du genre qu'il respecte autant qu'il les plis, Cooper fait de sa première incursion dans le cinéma de genre une expérience aussi réflexive que profondément tragique, frappée par une violence frontale et psychologique réellement brutale; une plongée sombre et nihiliste (plus encore que pour son magnifique Out of The Furnace) dans la folie et le désespoir d'une humanité désenchantée, ou la moindre lueur d'espoir ressemble à une bougie fragile essayant de rester allumée, au milieu d'une tempête de grêle.
D'une émotion constamment empathique (parce que naissant dans l'authenticité de ses personnages et de leurs relations), Affamés, évidemment pas sans défauts, est un cauchemar obsédant et viscéral où fantasme et réalité se heurtent pour ne faire qu'un, qui rappelle autant les efforts précédents de son cinéaste, que ceux de son vénéré producteur.
Jonathan Chevrier
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