Attention de na pas confondre de film, car "Quatre de l'Espionnage" en en fait en V.O. "Secret Agent", alors que le film suivant est "Sabotage" (1936) mais "Agent Secret" en V.F. !!! La confusion est donc souvent de mise... Cela fait déjà deux ans que le cinéaste a quitté le British International Picture pour son plus grand bonheur puisqu'il a retrouvé son producteur de ses débuts, Michal Bacon pour la Gaumont British et grâce au succès de "L'Homme qui en savait trop" (1934) et surtout "Les 39 Marches" (1935) le producteur laisse encore plus de liberté à son réalisateur ce qui n'est évidemment pas pour déplaire à Hitchcock. Pour son nouveau film le cinéaste collabore avec l'auteur Campbell Dixon qui a adapté en pièce de théâtre le recueil de nouvelles "Mr. Ashenden, Agent Secret" (1928) de William Somerset Maugham (qui a été agent secret durant 14-18), Dixon co-signe le scénario également, en reprenant essentiellement les deux nouvelles "The Traitor" et "The Hairless Mexican" et en écrivant avec l'épouse de Hitchcock, Alma Reville puis le fidèle Charles Bennett qui est ainsi à son 5ème film avec Hitchcock depuis "Chantage" (1929), et également avec Ian Hay qui était déjà sur "Les 39 Marches" (1935), et une toute nouvelle collaboration avec le scénariste Jesse Lasky Jr. qui va devenir un fidèle de Cecil B. De Mille de "Les Flibustiers" (1938) à "Les Dix Commandements" (1956) en passant par "Pacific Express" (1939) ou encore "Les Naufrageurs des Mers du Sud" (1942)... Robert Ashenden est envoyé en mission en Suisse où il doit éliminé un espion allemand. Il est secondé par un sud-américain dit le "général" qui semble peu scrupuleux, et un jolie espionne Elsa. Mais la mission qui semble s'être déroulé correctement n'a pas les conséquences attendues. Le trio doit repartir en mission malgré les réticences...
Dans le rôle de Ashenden Hitchcock aurait voulu Robert Donat comme acteur afin de reformer le couple du film "Les 39 Marches" mais il ne sera finalement pas disponible. C'est donc un acteur shakespearien qui endosse le costume, John Gielgud qui est alors surtout connu dans le monde du théâtre mais qui sera de plus en plus présent au cinéma avec notamment "Le Premier Ministre" (1941) de Thorold Dickinson et "Jules César" (1953) de J.L. Mankiewicz. Le "général" est incarné par Peter Lorre, mythique "M le Maudit" (1931) de Fritz Lang et qui retrouve Hitchcock après "L'Homme qui en savait Trop" (1934), puis l'espionne Elsa est jouée par Madeleine Carroll qui retrouve également le cinéaste après "Les 39 Marches" (1935) et qui deviendra une star avec des films comme "Le Prisonnier de Zenda" (1937) de John Cromwell et "Les Tuniques Ecarlates" (1940) de Cecil B. De Mille, d'ailleurs écrit par le scénariste Jesse Lasky Jr. Parmi les protagonistes, nous trouvons Robert Young remarqué avant tout dans "Après Nous le Déluge" (1933) de Howard Hawks et qui tient les rôles principaux dans "Les Pionniers de la Western Union" (1941) de Fritz Lang et "Feux Croisés" (1947) de Edward Dmytryk, puis Percy Marmont vétéran du Muet qui retrouve Hitchcock après "À l'Est de Shanghaï" (1931), et enfin une jeune actrice encore inconnue Lilli Palmer, qui a fui l'Allemagne nazie à l'instar de son compatriote Peter Lorre, et qui deviendra une grande star dans des films comme "Sang et Or" (1947) de Robert Rossen et "Jeunes Filles en Uniformes" (1958) de Geza Von Radvanyi. Citons pour finir l'acteur non crédité Tom Helmore qui retrouve le réalisateur après "The Ring" (1927) et qu'il retrouvera bien après dans "Sueurs Froides" (1958)... Quand le film débute on réagit forcément car on ne peut passer à côté de quelques paramètres qui renvoient logiquement à un certain 007 d'après Ian Fleming ! Ainsi le chef du renseignement est dénommé "R" ("M" chez James Bond), où l'agent Ashengen demande l'autorisation de tuer, célèbre désormais via James Bond et sa "licence to kill". À n'en pas douter Ian Fleming, qui a été également agent du renseignement mais en 39-45, avait lu les nouvelles de Maugham.
Le tournage n'a pas été simple car la Censure veille, et cette fois ce n'est pas que sur des questions de bienséance ou de luxure plus ou moins litigieuse mais sur des questions géo-politique car rappelons qu'on est alors en 1936 (Guerre d'Espagne qui commence, Nazisme en pleine ascension avec les Jeux Olympiques de Berlin...) et que les tensions internationales grimpent fortement. Ainsi le "général"/Lorre n'a pas de nationalité précise pour ne pas froisser les mexicains, et ce dernier doit mourir pour expier ses péchés mais Hitchcock tournera donc deux fins différentes, mais on oublie pas non plus de demander au réalisateur d'effacer les séquences qui se déroulent dans une salle de bain (?!) mais Hitchcock fera en sorte qu'on aperçoive tout de même du papier toilette ! S'il s'agit d'un film d'espionnage, il ne faut pas oublier que le réalisateur-scénariste britannique voit surtout "un film pour rire". Ainsi le coup de génie du maestro est d'instaurer une certaine légèreté, même de la fantaisie symbolisée surtout par l'apprentie espionne jouée avec malice par Madeleine Carroll, mais qui permet aussi de marquer d'autant plus les esprits quand le drame arrive. L'assassinat est un must dans le genre, filmé en hors champs mais pas vraiment (évitons le spoil !), en jouant sur l'instinct animalier pour accentuer l'émotion, Hitchcock "tue" le match aussitôt après avec un twist qui fait basculer le récit et montre pour la première fois un héros faillible, ironiquement l'anti-James Bond par excellence. Niveau interprétation l'humour est aussi le fait de Peter Lorre, un peu ridicule faut l'avouer en latin, l'acteur en roue libre était alors accroc à la morphine ceci expliquant sans doute cela ! Le charme de Madeleine Carroll, ajouté au cabotinage de Lorre, on ne peut que remarquer le flegme tout théâtral de Gielgud qui paraît peu à l'aise et qui manque alors d'un peu de "lâcher prise", mais idem, l'acteur jouait au théâtre le soir la pièce "Roméo et Juliette", ceci expliquant peut-être cela ! Le plus intéressant dans ce film c'est que Hitchcock a soigné particulièrement le son et amplifie juste ce qu'il faut certains bruits (sirène de l'usine, téléphone, clocher, aboiement, instrument de musique...) qui donne un effet d'effervence voir même d'urgence. La réflexion sur la mort, le droit ou la nécessité de tuer est tout aussi intéressante. Finalement le film déçoit surtout par une direction d'acteur aléatoire, qui manque un peu d'osmose. Ca reste un très bon film, riche de séquences innovantes et de vraies trouvailles qui permettent de passer un vrai bon moment de cinéma.
Note :
13/20