[CRITIQUE] : Baracoa

Par Fuckcinephiles
Réalisateurs : Pablo Briones et The Moving Picture Boys
Avec : Leonel Aguilera, Antuán Alemán, ...
Distributeur : Plátano Films
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Cubain, Suisse, Espagnol, Américain, Colombien
Durée : 1h29min
Synopsis :
Dans leur petite ville de la campagne cubaine, Leonel, 9 ans, et Antuán, 13 ans, s’apprêtent à passer leurs vacances d’été livrés à eux-mêmes. Entre errance et jeux d’enfants, les deux garçons occupent leur ennui comme ils peuvent, confrontant leurs visions du monde et de l’avenir. Au moment où l’île des îles entame une nouvelle page de son histoire, ces deux amis inséparables se retrouvent, eux aussi, à un tournant de leur jeune vie.

Critique :

#Baracoa rend hommage à toute une communauté d’enfants d'un village cubain, filmant leur quotidien sans complaisance tout en symbolisant également une quête d'identité propre : se détacher de l’enfance et d’un aspect communautaire pour embrasser son propre chemin (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/YevhOHp3Y6

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) November 2, 2021

Le premier long métrage de Pablo Briones, réalisé en collaboration avec The Moving Picture Boys (Jace Freeman et Sean Clark), possède une saveur particulière. À la croisée du documentaire et de la fiction, sans forcément parler de docu-fiction, Baracoa est d’une singularité lumineuse, propre à laisser divaguer ses deux protagonistes et à entraîner le public avec eux.
Le cinéaste argentin participe à un atelier de cinéma à Cuba, où il rencontre les deux jeunes garçons du film, Antuán et Leonel. Alors qu’il cherchait un jeune acteur pour son court métrage, les deux amis arrivent à le convaincre de les engager, changeant ainsi toute l’histoire de son film, Pezcal. Le réalisateur n’a pas voulu s'arrêter là. Pour son premier long métrage, il a voulu déplacer les limites de la fiction et inscrire son récit dans la pure réalité, tout en jouant avec ses deux acteurs. La réalité est déformée par l’action, qui elle est programmée et attendue, pourtant les images captent un regard sur Cuba et les enfants du petit village de Puebla Textil. Un regard sociologique de l’aveu du cinéaste, où la caméra s’intéresse à la communauté toute entière et à leur façon de passer le temps, pendant l’été, quand la chaleur est intenable et qu’il n’y a rien à faire. Pour l’aider à filmer cette vérité, Pablo Briones fait appel à un duo de documentaristes américains, spécialistes de l’Amérique du sud, The Moving Picture Boys. Revendiquant un cinéma direct, des « films narratifs de non-fiction » d’après leur dire, Jace Freeman et Sean Clark signent ici une mise en scène vivante, qui vient souligner le lien puissant entre Antuán et Leonel dans les magnifiques paysages cubains, dont la plage bordant le village, donnant son titre au film, Baracoa.

Copyright Plátano Films


Le film est avant tout un travail collaboratif, entre les trois cinéastes, mais aussi avec les deux protagonistes du film, qui ont apporté leur pierre à l’édifice. L’envie des acteurs d’être dans la lumière, couplée à une caméra dynamique et à un scénario honorant leur amitié donnent naissance à une tendre authenticité, à la fois drôle et surprenante. Le récit suit Antuán et Leonel et épouse leurs états-d’âme. D’abord d’une unité étonnante, l’un ne se déplace pas sans l’autre, Baracoa est l’histoire d’une amitié mais surtout d’une recherche d’identité propre, au cœur d’un monde sans grandes opportunités. Leur solitude est voulue, autant dans la narration intradiégétique que extradiégétique. Les deux amis s’excluent eux-même de la bande d’enfants du village (Antuán n’hésite pas à les insulter), permettant ainsi à leur amitié d’être exclusive. Hors de la narration pure, les parents des enfants n’ont pas souhaité apparaître dans le cadre. Une absence qui renforce l’ennui et la redondance de leur journée. Antuán et Leonel cherchent alors à élargir leur limite, dans le cadre mais aussi dans la réalité. Le premier propose de voler un peu d’argent à leur famille pour aller à la plage, ou d’acheter des allumettes pour visiter des grottes à l’aide de torches. Tout est bon pour contrer la monotonie de leur quotidien. Et, quand il n’y a plus rien à faire, il ne reste que la discussion. Ces dialogues d’un avenir incertain, d’une possible séparation des deux amis (Antuán doit suivre son père à La Havane), renforcent leur lien et permettent au public de voir une autre facette de leur personnalité.
Leur amitié, qui nous semble immuable, ne rend pourtant pas compte du terrible déséquilibre entre les deux protagonistes. Alors que Antuán est un garçon de treize ans sûr de lui, charmeur et bagarreur, Leonel, neuf ans, est au contraire timide et ne prend pas de place. Le duo paraît inséparable, se déplaçant sur une même ligne. Mais ce lien intense empêche peut-être à l’un de s’épanouir au profit de l’autre. Le rythme du film est d’abord imposé par Antuán et son énergie débordante, voulant contrer cette langueur estivale. Malgré sa démarche de « bonhomme » devant d’autres enfants, Antuán, à l’orée de l’adolescence, reste un peu un enfant au contact de Leonel. Le film est animé par leurs questionnements naïfs, par leurs jeux et leur imagination devant des objets inanimés. Cette dynamique disparaîtra lorsque le récit se déplace à La Havane, dans un univers plus urbain, plus adolescent, où les jeux innocents sont remplacés par des démonstrations de virilité. Leonel, d’abord déboussolé par le départ inopiné de son ami de toujours, peut enfin déployer ses ailes. La narration se fait alors plus douce, plus posée, tandis que le caractère sensible et généreux du jeune garçon a la place de s’imposer dans le cadre. Peut-être que c’était lui le personnage principal du film, depuis le début. Le film marque la fin d’une ère, la fin d’une amitié. Pourtant, la fin du film n’a rien d’amère, au contraire. Les possibilités, qui nous semblaient si fines au début, semblent maintenant infinies sur cette plage, assombrie par le crépuscule naissant.

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Baracoa se fait multiple. Le film rend hommage à toute une communauté d’enfants, dans un village cubain, filmant leur quotidien sans complaisance. Mais le long métrage symbolise également une quête d'identité propre : se détacher de l’enfance et d’un aspect communautaire pour embrasser son propre chemin. Une œuvre délicate, parfois drôle, possédant la mélancolie d’une fin mais aussi l’énergie d’un nouveau départ.
Laura Enjolvy