[CRITIQUE] : Une vie démente

Réalisateur/trice : Ann Sirot et Raphaël Balboni
Avec : Jo Deseure, Jean Le Peltier, Lucie Debay, Gilles Remiche, ...
Distributeur : Arizona Distribution
Budget : -
Genre : Comédie
Nationalité : Belge
Durée : 1h27min
Synopsis :
Alex et Noémie voudraient avoir un enfant. Leurs plans sont chamboulés quand la mère d’Alex, Suzanne, adopte un comportement de plus en plus farfelu. Entre l’enfant désiré et l’enfant que Suzanne redevient, tout s’emmêle. C’est l’histoire d’un rodéo, la traversée agitée d’un couple qui découvre la parentalité à l’envers !
Critique :

Avec beaucoup de tendresse, Ann Sirot & Raphaël Balboni déploient un récit drôle et délicat sur le déclin d’une personne et l’ouragan que cela crée dans sa famille.#UneVieDémente voit la mort comme inéluctable mais ne s’empêche pas de célébrer la vie pour autant. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/cWA2Svf48m
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) November 10, 2021

Fort⋅es de plusieurs courts métrages, le tandem belge Ann Sirot et Raphaël Balboni propose dans leur premier long métrage une vision burlesque de la maladie d’Alzheimer. Une vie démente raconte l’histoire d’une dégénérescence cérébrale, qui conduit la pétillante Suzanne (Jo Deseure) à perdre pied dans sa bulle, sous les yeux de son fils, Alex (Jean Le Peltier). L’ironie du sort est qu’il essaye en même temps d’avoir un enfant avec sa compagne, Noémie (Lucie Debay). Comment continuer sa vie et avoir un bébé quand sa propre mère se transforme en enfant ? Avec beaucoup d’humour, les deux cinéastes livrent un film poignant, prenant à contre-courant l'accablement et la lourdeur de ce genre de récit grâce à une mise en scène à l’imagerie poétique.

[CRITIQUE] : Une vie démente

Suzanne est une directrice de galerie d’art, très en forme et primesautière. Elle a parfois quelques absences, invisibilisées par son caractère loufoque et changeant. Pourtant, ces petits couacs cachent une maladie, la démence sémantique. Une maladie progressive dont il n’existe aucune cure, aucune façon de l’arrêter. Alex, son fils de trente ans, ne se résout pas à voir sa mère perdre ce qui la constituait : sa fougue, son énergie, sa répartie, son travail. Il y voit une parenthèse dans sa vie, niant qu’elle a changé en même temps que sa mère. Noémie de son côté, patiente compagne, voit son couple perdre pied lui aussi, s’empêtrant dans le déni d’Alex. Une vie démente propose le récit inverse de The Father, film réalisé par Florian Zeller, sorti cette année, qui posait un regard inédit sur la maladie en mettant le point de vue à l’intérieur du malade. Ici la réalité reste sur le couple et une forme d’opacité s'enroule autour de Suzanne. Son regard ne se porte plus sur les choses qui comptent, comme le matelas qu’elle achète pour son fils au début du film. Un achat d’adulte responsable, d’une mère attentionnée pour son fils. Cet achat, avec la housse de couette florale qui l’accompagne, deviendra métaphore de la prise du quotidien de Suzanne sur le couple. Le motif floral s’étend sur leur pyjama, la coque de l'Ipad, la couverture d’un livre, le halo des lampes, etc… Noémie et Alex baignent dans cette métaphore. Les coups d’éclat se passeront à l’intérieur de ces draps, embourbés dans ces fleurs comme dans la maladie.
Ces motifs ton sur ton prennent une apparence de tableau. Suzanne, passionnée d’art, ne perd pas cette passion, au contraire. Le curseur est dévié mais ne disparaît pas. Si elle est maintenant incapable de reconnaître les tableaux, elle continue d’être exaltée par l’art. Le dessin d’une petite fille l’obsède. L’été de Vivaldi, recomposé en chanson de metal la ravit. Les Quatre Saisons seront d’ailleurs présentes tout au long du film, de l’été à l’hiver, comme un cycle infini. Telle la jeune femme rousse dans le tableau de John William Waterhouse, L’âme de la rose, Suzanne prend corps à travers sa passion, à tel point qu’elle se fond dans le décor. Les différents rendez-vous médicaux se transforment en tableaux tragiques, où les protagonistes sont habillés en fonction de la couleur du mur. Pêche pour les rendez-vous administratifs, bleu pour les rendez-vous médicaux, gris et blanc raillé pour les rendez-vous à la banque. Ces séquences brillent par leur lecture comique malgré l’accent du drame sous-jacent, à l’image de la différence de point de vue entre Alex et Noémie. Là où celle-ci voit un changement qu’il faut accepter et embrasser, Alex ne cesse de combattre l’inéluctable. Tout devient tragique de son point de vue, tandis que Suzanne s’adapte à sa façon, dans une joie survoltée qui ne diminuera seulement qu'à l'aide de médicaments.

[CRITIQUE] : Une vie démente

Une vie démente parle surtout du regard que l’on porte à la vieillesse et à la maladie. Du pragmatisme de Noémie au déni d’Alex, qui ne peut laisser l’image de sa mère d’avant, classe et sûre d’elle, s’en aller (jusqu’à continuer à l’habiller en noir comme elle en avait l’habitude et lui faire ses racines pour cacher ses cheveux blancs). Il est gêné de la prendre en photo, comme si ce n’était plus sa mère, mais une inconnue dans son corps. Avec beaucoup de tendresse, Ann Sirot et Raphaël Balboni déploient un récit drôle et délicat sur le déclin d’une personne et l’ouragan que cela crée dans une famille. Une vie démente voit la mort comme inéluctable mais ne s’empêche pas de célébrer la vie pour autant.
Laura Enjolvy

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