Jeune et Innocent (1937) de Alfred Hitchcock

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après deux films d'espionnage avec "Quatre de l'espionnage" (1936) et "Agent Secret" (1936) le réalisateur britannique revient avec un film un peu plus léger mêlant les genres. Mais la crise économique fait des ravages et la Gaumont British ferme les studios de Lime Grove dans lesquels Hitchcock a tourné tous ses films depuis "Le Chant du Danube" (1933), et elle licencie aussi jusqu'au producteur Michael Bacon avec qui Hitchcock a travaillé sur 9 films ensemble de "Le jardin du plaisir" (1925) à "Le passé ne meurt pas" (1928) puis de "L'homme qui en savait trop" (1934) jusqu'à "Agent Secret" (1936). Ce producteur fidèle mais licencié est remplacé par son exact contraire, Edward Black, un perfectionniste discret mais tout aussi admirateur de Hitchcock. Ce dernier doit encore deux films à la Gaumont British par contrat, mais vu le contexte économique et social le film est cette fois produit par une filiale, Gainsgorough Pictures. Le projet est une adaptation du roman "A Shilling for Candles" (1936) de Josephine Tey (traduit en V.F. "Le Maillot Vert" puis "Jeune et Innocent" après la sortie du film). Hitchcock se met au travail avec plusieurs scénaristes, son épouse Alma Reville, son fidèle Charles Bennet pour leur 6ème film depuis "Chantage" (1929), Edwin Greenwood qui était déjà sur "L'Homme qui en savait Trop" (1934) et Anthony Armstrong romancier spécialisé dans le thriller qui signe là son unique scénario. L'équipe qui semble avoir travaillé dans un vrai moment de bonheur, a toutefois modifié un peu l'histoire faisant des deux jeunes gens, le couple en cavale les héros alors que c'est le policier Grant qui est le héros du roman...

Le corps d'une femme qui a été étranglée est retrouvée sur une plage, et très vite Robert Tisdall est accusé du meurtre après que deux jeunes femmes l'ait vu partir en courant. Bien qu'il explique qu'il partait chercher de l'aide il pourrait pourtant avoir un mobile. Finalement, se voyant piégé il décide de s'échapper pour tenter de s'innocenter. Dans sa fuite il emmène Erica, fille du commissaire, qui finit par l'aider croyant petit à petit à son innocence. Seul indice, retrouver l'imperméable qu'on lui a volé pour se servir de la ceinture pour le crime... Le jeune accusé est incarné par Derrick De Marney qui venait de se faire remarquer dans "Les Mondes Futurs" (1936) de William Cameron Menzies, et vu ensuite dans "The Spider" (1940) de Maurice Elvey et "Spitfire" (1942) de Leslie Howard. La fille du commissaire est interprétée par Nova Pilbeam qui retrouve Hitchcock après avoir été la fille kidnappée dans "L'Homme qui en savait Trop" (1934) et vue entre temps dans "Tudor Rose" (1936) de Robert Stevenson. Le commissaire est joué par Percy Marmont, vétéran du Muet qui retrouve également Hitchcock après "A l'Est de Shanghaï" (1931) et "Quatre de l'Espionnage" (1936). L'enquêteur principal est joué par John Longden qui retrouve le réalisateur pour leur 4ème film sur les 5 en attendant "La Taverne de la Jamaïque" (1939). Un vieux clochard est interprété par Edward Rigby vu dans "Kipps" (1941) de Carol Reed et "A Canterbury Tale" (1944) du duo Powell-Pressburger. Citons d'autres habitués du cinéaste, George Curzon vu dans "L'Homme qui en savait Trop" et retrouvera John Longden et Basil Radford dans "La Taverne de la Jamaïque", ce dernier sera aussi dans le prochain "Une Femme Disparaît" (1938) comme Mary Clare qui retrouve son partenaire George Merritt après "Le Juif Süss" (1934) de Lothar Mendes, Mary Clare retrouvera aussi Torin Thatcher, vu dans "Agent Secret" (1936), "dans "La Rose Noire" (1950) de Henry Hathaway, puis enfin citons Jules Verno vu dans "Les 39 Marches" (1935)... Avec ce film le réalisateur-scénariste s'amuse en mêlant les genres, à la fois quête initiatique, aventure polar et romance avec une légèreté omniprésente malgré le drame sous-jacent. Le scénario est un peu facile mais participe au côté comédie de l'histoire, ainsi l'accusé s'évade de façon plutôt ubuesque, sans compter la fête d'anniversaire (scène coupée pour les Etats-Unis, ce à quoi le réalisateur dira "C'était stupide car c'était l'essence même du film") qui mêle angoisse et fantaisie, jusqu'à ce final granguignolesque et même expédié ; sur cette fin il y a même une chanson, le refrain joué par l'orchestre est "No one can like the drummer man", ce qui désigne le coupable.

Si le dénouement est tiré par les cheveux, il n'en demeure pas moins que Hitchcock en profite pour réaliser un travelling génial qui traverse la salle de bal jusqu'à arriver sur un musicien un gros plan qui désigne ainsi celui qu'on cherche. L'autre séquence qui marque est l'accident ou une voiture est engloutie dans une mine, une scène spectaculaire qui offre aussi la seule scène d'effroi du film. Le plus intéressant reste la dimension féministe du film, pour une fois le réalisateur ne filme pas son héroïne comme une blonde froide et sophistiquée voir même glamour, cette fois il s'agit d'une jeune femme qui assume le rôle de mère alors qu'elle est la soeur aînée auprès d'un père qu'on devine veuf, elle est intelligente, maline et s'avère plus perspicace que les subordonnées de son père. Ce qui est amusant c'est que l'actrice et le réalisateur se sont beaucoup entendu sur le tournage, à tel point qu'ils étaient tous les deux attachés au chien qu' l'on voit dans le film, et encore plus touchant, sachant qu'elle était énamourée de Penrose Tennyson son assistant-réalisateur il proposa à ce dernier de participer à la scène de la main tendue lors de l'accident dans la mine, ainsi c'est la main de l'assistant que l'on voit saisir la main de l'actrice ; le couple s'est marié après le tournage ! Le film est très bien accueilli, à tel point qu'on peut considérer ce film comme le passeport pour Hollywood que Hitchcock attendait. D'ailleurs il va se presser de réaliser le prochain film qu'il doit par contrat pour se libérer. Notons que Hitchcock se resservira de certaines de ses idées dans ses futurs chefs d'oeuvres, par exemple le travelling de la salle de réception dans "Les Enchaînés" (1946), la main tendue dans le vide pour "La Mort aux Trousses" (1959) ou encore le vol des mouettes pour "Les Oiseaux" (1963)... En conclusion, le cinéaste britannique signe un film très divertissant, rythmé qui mêle habilement plusieurs genre avec du féminisme (chose rare chez Hitchcock) et une mise en scène une fois de plus inspirée, dommage que l'intrigue ne soit pas plus cohérente. Un bon moment.

Note :    

 

13/20