Alors en pourparlers avec le nabab hollywoodien David O'Selznick après "Une Femme Disparaît" (1938), tandis qu'il projette d'adapter un roman nommé "Rebecca" Hitchcock se voit proposer d'adapter le roman "La Taverne de la Jamaïque" (1936) de Daphné Du Maurier romancière également de "Rebecca". Le film est en fait le projet de Charles Laughton, acteur de génie, mais aussi producteur qi a acquis les droits du roman et qui vient de créer sa société de production Mayflower avec un certain Erich Pommer qui a produit les grands noms du cinéma allemand Fritz Lang, Pabst et Murnau, mais aussi et surtout le premier film de Hitchcock "Le Jardin du Plaisir" (1925). Le producteur Charles Laughton s'adjuge alors le rôle principal, s'imposant de fait au réalisateur britannique ce qui ne se fera pas sans heurts. Au scénario Hitchcock retrouve Sidney Gilliat après "Une Femme Disparaît" (1938) mais cette fois sans son acolyte Frank Launder en froid avec Hitchcock, il retrouve aussi Clemence Dane auteur de son film "Meurtre" (1930) puis il impose comme scénariste Joan Harrison, assistante personnelle du réalisateur et première fois créditée comme telle sur un film... À la mort de sa mère, la jeune Mary Yellard part en Cornouailles retrouver la seule famille qui lui reste, sa tante Patience et son époux joss. Mais sur place elle s'aperçoit que son oncle tient l'auberge de la Jamaïque, un repaire de brigands naufrageurs. Le soir même de son arrivée, elle sauve un des malfrats qui s'avère être un policier infiltré. Ils fuient et trouvent refuge chez le juge Pengallan...
Le rôle principal est donc dévolu au monstre Charles laughton connu pour ses rôles dans "Les Révoltés du Bounty" (1935) de Frank Lloyd et "L'Extravagant Mr Ruggles" (1935) de Leo McCarey, qui retrouvera malgré tout Hitchcock dans "Le Procès Paradine" (1947) et qui réalisera un seul film, mais quel film avec le chef d'oeuvre "La Nuit du Chasseur" (1955). L'orpheline par qui tout arrive est interprétée par Maureen O'Hara, débutante imposée par Laughton qui l'avait remarquée, qu'il retrouvera aussitôt après dans la version hollywoodienne "Quasimodo" (1939) de William Dieterle avant qu'elle ne devienne une star notamment en jouant plusieurs fois pour John Ford et avec John Wayne dont "Rio Grande" (1949) et "L'Homme Tranquille" (1952). Le policier infiltré est incarné par Robert Newton alors jeune premier vu dans "L'Invincible Armada" (1937) de William K. Howard qui fera date en pirate dans les films "L'Île au Trésor" (1950) et "Le Pirate des Mers du Sud" (1954) tous deux de Byron Haskin puis "Barbe-Noire le Pirate" (1952) de Raoul Walsh. Il retrouve son partenaire Leslie Banks après "L'invincible Armada", qui retrouve aussi Hitchcock après "L'Homme qui en savait Trop" (1934) et qui retrouvera dans "Madeleine" (1950) de David Lean l'acteur Wylie Watson qui était dans "Les 39 Marches" de Hitchcock. D'ailleurs dans de petits rôles on retrouve aussi d'autres fidèles du réalisateur dont Frederick Piper et Clare Greet qui étaient tous deux entre autre dans "L'Homme qui en savait Trop" et "Agent Secret" (1936). Citons encore Emlyn Williams acteur vu dans "Vendredi 13" (1933) de Victor Saville et "La Citadelle" (1938) de King Vidor, puis Marie Ney vue dans "Brief Ecstasy" (1937) et "The Romantic Age" (1949) tous deux de Edmond T. Gréville... Le film est une adaptation très libre du roman, d'abord et avant tout cela serait la cause du producteur-acteur Charles Laughton qui voulait s'imposer comme rôle principal mais en incarnant un personnage secondaire, il a donc fallu réécrire l'histoire en conséquence. Si Hitchcock admirait l'acteur, l'entente sur le tournage fut plus compliqué. D'ailleurs le réalisateur britannique dira : "Les choses les plus difficiles à filmer sont les chiens, les bébés et Charles Laughton" ! L'autre soucis a été la censure, surtout américaine où il n'était pas question que le méchant soit un prêtre. Ainsi le prêtre est-il devenu un juge, à l'instar d'ailleurs dans les versions hollywoodiennes de "Notre-Dame de Paris", que ce soit justement dans le "Quasimodo" (1939) avec Laughton et Maureen O'Hara ou au plus récent film d'animation Disney "Le Bossu de Notre-Dame" (1996) Frollo n'y est pas prêtre mais juge. La censure fait que l'inspecteur infiltré n'existe pas dans le roman, il a fallu en fait modifié le personnage d'un naufrageur (frère de Joss le chef des naufrageurs) car il ne fallait pas qu'il puisse être "un méchant en rédemption" ou "un bandit bien aimé".
Mais dans tout ça le plus gênant est que le commanditaire, le notable qui est derrière les naufrageurs soit dévoilé dès le début du film. Forcément, Hitchcock était agacé que le suspense soit tué d'entrée. Néanmoins, on sera aussi d'accord avec le cinéaste que le côté "docteur Jekyll and Mister Hyde" du juge apporte une aura non négligeable. D'autant plus quand il est juge et qu'il pousse aux crimes les plus cruels. Rarement en effet un film de Hitchcock ira si loin dans la représentation de la violence, qui est même encore rare à l'époque sur les écrans. Ainsi on peut y voir pendaison sauvage, égorgement, suicide... Malheureusement, face au "méchant" Laughton le reste du casting fait bien pâle figure, Maureen O'Hara manque d'un personnage plus exploité, Newton est encore un peu lisse et n'est pas aidé par un personnage par qui vient toutes les invraisemblances (se sauve avec une fille inconnue apparentée aux naufrageurs, s'interroge jamais sur certains actes étranges du juge). Le film est un film d'aventure qui surprend par sa violence assez inédite alors, un rythme soutenu et un ogre comme méchant font le reste. L'univers des naufrageurs (Tout savoir ICI !) est d'un exotisme assez fascinant, la réalité des faits dépassant même la fiction. Mais on est forcé de constater que tout ça manque de tension, et la mise en scène de Hitchcock semble un peu moins inspiré que d'habitude, sans doute à cause de l'omniprésence de sa star producteur. D'ailleurs, Frank S. Nugent, futur scénariste fétiche de John Ford écrira sur le film : "On s'en souviendra pas comme un film d'Hitchcock mais de Charles Laughton." Hitchcock déclarera détester ce film, il partira pour les Etats-Unis (comme Laughton et Maureen O'Hara au même moment !) où il sera déjà lors de la sortie en salles, ce film est donc le dernier de sa période anglaise (avant de revenir en fin de carrière) et surtout, on notera que le cinéaste ne fera pas de caméo sur ce film. L'accueil sera glaciale de la part de la presse professionnelle mais aura toutefois un bon accueil du public. Néanmoins, il ouvrira la voie à d'autres naufrageurs dont, peu de mois après, le film "Les Naufrageurs des Mers du Sud" (1942) de Cecil B. De Mille, citons aussi le film français "Les Naufrageurs" (1959) de Charles Brabant. Souvent considérer comme un des pires films de Hitchcock, on nuancera tout de même, Laughton s'impose mais pas que pour le pire, et cela reste un divertissement très plaisant à défaut d'être à 100% hitchcockien.
Note :