© 1999 - Miramax Films
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#133. Holy Smoke de Jane Campion (1999)
Peut-être plus encore que In The Cut, Holy Smoke a un peu trop injustement été considéré comme le gros point faible de la filmographie de la merveilleuse Jane Campion, si tenté est qu'elle en est vraiment un - les cinéphiles de bon goût répondront à la négative.
S'il est résolument désordonné (pour le spectateur, mais sans doute pas du point de vue de la cinéaste, qui ne s'est jamais souciée de faire le film que les autres attendaient d'elle) et qu'il n'est pas frappé par la même essence que les autres errences fantastiques de Campion, il n'en reste pas moins une oeuvre étonnamment libre et humoristique - comme Sweetie, avec qui il partage de nombreux points communs -, qui vogue dans le même marais thématique sombre et rugueux que Portrait de Femme.
Sorte de comédie dramatique purement australienne, dont le synopsis chargé ne couvre que la première demi-heure des quasi-deux heures de bobines (une famille engage un exorciseur/"spécialiste de de la déprogrammation spirituelle ", PJ, pour sauver leur fille aînée Ruth, qu'ils pensent irrémédiablement bouleversée par un gourou après un voyage en Inde), le film n'est jamais aussi simple qu'il ne le laisse penser de prime abord, et encore plus au moment où le rapport de force initial ne se voit bousculé.
© 1999 - Miramax Films
Si son premier tiers (jusqu'à l'arrivée de Ruth et PJ dans la hutte) peut se voir comme l'idiome fastueux résolument masculin du cinéma indé US des 90s (Tarantino en tête, jusque dans l'engagement d'Harvey Keitel dont elle démonte sa coolitude sauce Mr Wolfe) et - par extension - de la Nouvelle Vague, entre parodie kitsch (indices musicaux savoureusement déformés, famille un brin dérangée, flashback hyper-saturé et caricatural,...) et hommage sincère; son second lui, se fait incontestablement plus féminin en axant son attention sur les relations de genre, réduisant son conflit homme/femme à sa crudité la plus pure, dénuée de tout féminisme stricte.
Si Ruth a passé sa vie sans identité, en Inde elle s'est formée en tant que femme, mais PJ a été appelé pour démanteler cette identité et la remplacer par une autre plus " appropriée "; une lecture avec œillère ferait dès lors de PJ la représentation de la toute autorité masculine s'amusant de restreindre le droit d'une femme de déterminer qui elle est et veut être.
Mais la vision de Campion, expurgée de tout dogmatisme féministe, met autant la figure masculine de PJ à rude épreuve (ou plutôt sa foi en sa masculinité, qui l'amènera vers un véritable chemin de croix dès qu'il choisit bêtement de coucher avec Ruth la nuit de sa grande percée émotionnelle, moment ou elle a commencé à exercer un contrôle sur la situation) que sa figure féminine, tant la spiritualité (re)trouvée de Ruth s'avère finalement assez superficielle, elle qui s'enferme totalement dans ses contradictions et refuse d'affronter ses problèmes relationnels.
Mais c'est dans son troisième acte que le métrage gagne toute sa force, une oeuvre regroupant ses deux faces, masculine et féminine, pour ne plus en former qu'une seule et unique : humaniste, ou chaque personne fait simplement face au pathétique de son existence.
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Plus Ruth se réapproprie le pouvoir et en abuse, moins elle ne peut grandir dans sa propre identité qu'en privant PJ de la sienne.
Et c'est le " Be Kind " inscrit subtilement à l'envers sur son front, véritable mojo méta - puisque la cinéaste pratique autant qu'elle prêche -, qui sert de résolution à toute épreuve au récit, la clé de cette double quête de sens mais également de la guerre entre hommes et femmes : comprendre et être bon l'un envers l'autre, une déduction naïve certes, mais toute aussi teintée d'ironie.
Vrai film de rupture pour Campion, qui renoue autant avec les terres australiennes après dix ans d'absence, qu'avec une photographie audacieuse et poétiquement colorée rappelant ses premiers efforts (sa mise en scène appuie pleinement son allure d'oeuvre impressionniste), porté par un tandem Keitel/Winslet totalement dévoué à sa cause (deux comédiens courageux, qui se poussent tous les deux dans les recoins les plus extrêmes de leur talent); Holy Smoke est une expérience à part, qui cherche à provoquer et mettre mal à l'aise son auditoire pour mieux l'alerter sur comment les hommes et les femmes se méprennent et se tourmentent.
Comme toujours avec Jane Campion, si elle malmène avec générosité ses personnages c'est pour mieux nous montrer à tel point elle les aime, et quelle ne cherche jamais à punir quiconque dont le crime n'est qu'être humain, avec toute la complexité et les contradictions que cela implique.
Jonathan Chevrier