© Pathé distribution
Parce que l'overdose des téléfilms de Noël avant même que décembre ne commence, couplé à une envie soudaine de plonger tête la première dans tout ce qui est feel good et régressif, nous a motivé plus que de raison à papoter de cinéma sirupeux et tout plein de guimauve; la Fucking Team vient de créer une nouvelle section : #CoeursdArtichauts, une section ou on parlera évidemment de films/téléfilms romantiques, et de l'amour avec un grand A, dans ce qu'il a de plus beau, facile, kitsch et même parfois un peu tragique.Parce qu'on a tous besoin d'amour pendant les fêtes (non surtout de chocolat, de bouffe et d'alcool), et même toute l'année, préparez votre mug de chocolat chaud, votre petite (bon grande) assiette de cookies et venez rechauffer vos petits coeurs de cinéphiles fragiles avec nous !
#36. In the cut de Jane Campion (2003)Le thriller érotique connaît son heure de gloire dans les années 80 et 90, grâce notamment à Brian de Palma et Paul Verhoeven. Un genre que peu de réalisatrices se sont risquées à entreprendre. Pour In the cut, sorti en 2003, Jane Campion se jette dans ce vertige, entre enquête et désir, tout en respectant ce qui fait la singularité de son cinéma. Nous suivons Frannie, enseignante new-yorkaise dans sa quête de sexe, qui cache au fond un réel besoin d’être aimée. Le placer dans cette section romantique ne fait peut-être pas bien sens à première vue. Et pourtant, au travers d’une mise en scène urbaine et franche, le récit se faufile dans une passion amoureuse ambiguë mais bien présente. Tranchant avec le puritanisme des années Bush, le sexe est aussi visuel qu’auditif dans ce film. Les corps se dénudent, s'emplissent de plaisir tandis que les dialogues se forment autour d’un vocabulaire sans équivoque. Nous sommes bien loin de de l’imagination un peu plus prude d’Isabelle Archer dans Portrait de femme. Ici, le fantasme est réel et le sexe se mélange avec la mort et la violence.
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Alors qu’elle prépare le tournage de Holy Smoke, Jane Campion découvre le roman de Susanna Moore. C’est peut-être les similitudes entre les deux histoires qui incitent la cinéaste à entreprendre une adaptation, avec l’aide de l’autrice elle-même. Ou peut-être l’envie de s’essayer à un genre différent, bien contemporain, après avoir creusé le siècle dernier. Pour la première fois, elle quitte ses terres natales pour installer sa caméra aux États-Unis, à New-York plus particulièrement. Ville gigantesque, blessée dans sa chair au moment du tournage (2002), New-York se fait intime dans le regard de Jane Campion. Les bâtiments sont plus resserrés, la lumière plus diffuse. Elle utilise beaucoup de longues focales pour enfermer ses personnages dans le flou de la rue. Le point est alors très précis, comme si elle encourageait à nous intéresser à quelque chose de particulier dans le cadre. Sa façon à elle de nous donner tous les éléments de l’enquête façon Agatha Christie. Les plans sont comme un puzzle que nous devons remettre correctement pour que la vérité parle d’elle-même.
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Le film se fait sensuel, pourtant In the cut convoque également la poésie par son image et la passion de Frannie pour les mots. Le film débute par une tempête de pétales de fleurs autour de Pauline, la demi-sœur de Frannie, tandis que celle-ci rêve de ses parents dans son lit, entourée de post-it et de papiers dans lesquels sont inscrits des passages de poèmes ou de romans. La lumière peut à la fois être aveuglante ou au contraire, se poser délicatement sur les visages des personnages. Le film joue sur les deux tableaux, douceur et violence, pour installer l'ambiguïté de la relation entre Frannie et l’inspecteur Malloy. Une dichotomie de ton qui influe sur l’enquête et notre perception des personnages. Malloy arrive comme un cheveu sur la soupe dans la vie de Frannie et il aura du mal à en partir (surtout parce qu’il finit enchaîné dans son appartement…). À la fois le cliché le plus absolu du flic américain, Malloy est également capable de surprendre par son romantisme (leur virée en dehors de la ville) et par sa volonté à ce que sa partenaire prenne autant son pied que lui pendant leurs ébats sexuels. Le sexe se révèle aussi dangereux qu’exaltant. Alors qu’elle se perd dans les méandres du sous-sol d’un bar miteux, Frannie assiste à une fellation. Plus tard, en repensant à cette scène, elle essaiera sans succès de se masturber. Mais la jeune fille qu’elle a vu dans ce sous-sol est violemment assassinée (une partie de son corps est même retrouvée sous sa fenêtre, d’où l’arrivée de Malloy). La couleur rouge imprègne le film. Le phare que Frannie dessine pour parler de To the Lighthouse (roman de Virginia Woolf), phare écarlate que l’on retrouvera dans la solution de l'énigme. La robe que porte Pauline. Les lumières de New-York, la nuit. La veste que porte John, l’ex petit-ami de Frannie. Couleur de la passion, couleur du sang, elle entoure l’héroïne comme un avertissement. Mais Frannie ne voit pas cet avertissement, trop aveuglé par ses soupçons à l’encontre de Malloy.À l’image des deux sœurs de Sweetie, son premier long métrage, Pauline et Frannie sont aux antipodes l’une de l’autre, ce qui n’empêche pas cette fois leur bonne entente. Quand Pauline embrasse toute sa sexualité, Frannie semble au contraire se restreindre pour s’enfermer dans son monde poétique. « Tu vis ton inconscient. Tu es une poétesse de l’amour », dit-elle à Pauline quand celle-ci lui confie son aventure avec un homme marié. Elle s’accroche tant à cette relation que la femme de son amant demande une ordonnance restrictive pour l’empêcher de les approcher. Au contraire, Frannie subit le harcèlement d’un ex-amant, avec qui elle ne semble même pas avoir pris du plaisir. La scène du sous-sol chamboule complètement son imaginaire et l’oblige à concevoir une sensualité qu’elle ne pensait pas pouvoir ressentir. Jane Campion donne les clefs à ce blocage par ce rêve en sépia des parents de Frannie. Le titre In the cut, qui peut se traduire par “dans la fente”, tisse un lien avec cette séquence hors-récit, où la lame de leur patins devient symbole de leur amour et de la violence. Frannie semble subjuguée par cet imaginaire. L’homme viril demandant la main de la blonde sculpturale sous la neige. Le rêve romantique hétérosexuel, digne des plus tendres films de Noël. Pourtant, le rêve devient cauchemar et la lame vient couper les jambes de la femme. Le père de Pauline et Frannie semble être un homme violent et inconstant, jouissant de son ascendant sur les femmes pour mieux les jeter par la suite. Ces séquences sépia, ajoutées dans l’adaptation, reviennent à quatre reprises, de plus en plus violentes à chaque fois. Frannie semble avoir grandi sans modèle paternel, celui-ci ayant vite quitté le domicile conjugal. Elle n’a accès qu’à cet imaginaire très limité pour construire ses relations avec les hommes, basé sur des codes éculés du romantisme qui cache bien souvent les violences conjugales.
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Outre les meurtres et l’enjeu sexuel, In the cut est l’histoire d’une femme qui recherche simplement l’amour, tout en étant terrifiée par les hommes et leur virilité. Le film dévoile l'inconscient de Frannie, qui au travers de l’enquête, se délivre de sa peur pour venir embrasser tout à fait sa quête de l’amour.
Laura Enjolvy