[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #161. Sweetie

Par Fuckcinephiles

Copyright Splendor Films


Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !


#161. Sweetie de Jane Campion (1989)
Ce qu'il y a de profondément grisant dans le fait de replonger au coeur des premières oeuvres de cinéastes que l'on chérit, c'est de redécouvrir comment ceux-ci ont bâtit films après films, l'édifice de filmographie, de déceler les petits détails qui rendent leurs efforts si reconnaissables voire même, tout simplement grandioses.
Premier long-métrage de Jane Campion, qui trace déjà plus ou moins les grandes lignes de ce que seront les suivants, Sweetie est le portrait volontairement déroutante et indéfinissable d'une femme, Kay, dont les douloureuses expériences au cours de sa vie l'ont littéralement brisé.
Elle a un véritable vide émotionnelle à l'intérieur d'elle, elle fuit toute intimité physique, est incapable de maintenir ne serait-ce qu'un simple lien avec autrui (tout du moins quelqu'un d'étranger aux liens du sang) et cela même si elle ne désire rien de plus que ça.
On la découvre aussi et surtout au travers de sa relation d'avec sa soeur (la Sweetie du titre, qui est son opposée à tout point de vue), frappée par le mal profond d'une insidieuse angoisse familiale, qui les a rendus incapables de communiquer ou de se comprendre l'une de l'autre...

Copyright Splendor Films


Kay est une énigme, un objet inconnu dont on ne sait finalement pas grand chose - même si l'on a de cesse de l'observer - sauf qu'elle est profondément mal à l'aise dans ce monde; un fait appuyée par la photographie magnifiquement exécutée par Sally Bongers (pour sa troisième et dernière collaboration avec Campion), qui distille constamment un sentiment de réalité détourné, de bizarrerie presque Lynchienne; on est invité à découvrir sa perception du monde, biaisée donc mais pas totalement à sens unique, tant Campion ne nous oblige ni ne nous encourage jamais vraiment à partager ces opinions et jugements.
Cherchant constamment à isoler les personnages - et même des partis de leurs corps - pour mieux pointer du bout de la caméra les diverses manières dont les gens ne peuvent pas communiquer entre eux, Sweetie ne se fait pas un drame domestique inquisiteur, qu'une tragédie gentiment barrée sur une famille dysfonctionnelle ou chaque membres, jamais totalement détestables (ni forcément appréciables non plus) cherche à survivre dans un monde où il est impossible pour eux de le faire.
Une vérité qui, au fond, nous concerne tous même si Jane Campion ne cherche jamais à parer son oeuvre d'un message universel et l'humanisme à toute épreuve, au-delà de sa note d'intention plutôt optimiste : nous sommes tous désordonnés et perdus à différents degrés, mais le moins que nous puissions faire, c'est d'accepter/pardonner un minimum les idiosyncrasies de nos proches.
Jonathan Chevrier