[CRITIQUE] : Residue

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Merawi Gerima
Acteurs : Obinna Nwachukwu, Dennis Lindsey, Taline Stewart,...
Budget : -
Distributeur : Capricci Films
Nationalité : Américain.
Genre : Drame.
Durée : 1h30min.
Synopsis :
Jay, la trentaine, retourne dans son vieux quartier de Washington D.C. et y découvre à quel point celui-ci s’est gentrifié. Les résidents afro-américains se trouvent poussés hors de chez eux par des propriétaires plus riches et majoritairement blancs. Traité comme un étranger par ses anciens amis, Jay est perdu et ne sait plus tout à fait à quel monde il appartient.


Critique :

Autant une confession autobiographique qu'une rumination kaléidoscopique sur la mémoire, les traumatismes et les rêves déchus, #Residue se fait aussi et surtout un refus énervé au processus d'effacement et d'oubli orchestré par la gentrification de la société contemporaine. pic.twitter.com/ClyONTNFSL

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 6, 2022

Certaines menaces communautaires outre-Atlantique (ils n'en ont, évidemment, pas l'exclusivité) sont douloureusement évidentes et lisibles aux yeux de tous (une police surarmée et racistes - avec une légère propension à avoir les doigts collées sur la gâchette -, des violences verbales et physiques, une haine institutionnalisée et même organisée - le KKK -,...), mais force est d'admettre que la gentrification est sans aucun doute la plus insidieuse et violente d'entre-elles, tant ce qui était considéré jadis comme un changement positif au sein d'un quartier ou d'une ville, est désormais exposé comme une sorte d'invasion.
Et c'est ce sentiment d'envahissement de notre maison (au sens propre comme au figuré, tant certains quartiers incarnent nos maisons, nos " chez nous " également), cette présentation de la gentrification comme un acte d'hostilité ouverte, qui sert de colone vertébrale à Residue, premier long-métrage de Merawi Gerima, qui pourrait presque se voir comme un cousin du merveilleux The Last Black Man in San Francisco.

Copyright Capricci Films


À ceci près il est vrai, que si le film de Joe Talbot est un aperçu mélancolique et humble de deux hommes qui, impuissants, regardaient leur ville changer autour d'eux, celui-ci se fait une ode crue et énervée à ceux qui restent dans un foyer qui n'existe plus.
La narration est vissée sur le retour d'un jeune scénariste en herbe, Jay, dans le quartier ou il a grandit (dans l'ancien DC, jadis porté une communauté ouvrière dynamique et désormais totalement différent, les vieilles maisons familiales ayant été éventrées et/ou subdivisées pour optimiser les espaces) après l'avoir quitté pour suivre ses études, qui voit son sentiment d'appartenance bafoué autant par une réappropriation de la classe moyenne blanche (qui s'est payé, littéralement, son quartier) que par ses amis d'enfance (qui sont méfiants face à sa supposée reussite, et qui le considèrent comme ceux qui dévorent leur quartier); un jeune homme perdu et traité comme un étranger - et donc une menace - par tous, qui est rentré chez lui autant pour faire un film sur Q Street, pour donner une " voix aux sans-voix " (ce qui n'est pas gagné, tant ceux-ci considère son départ comme une trahison pure et simple), que pour se lancer dans une quête obsessionnelle pour retrouver son meilleur ami d'enfance, Demetrius.
Une quête qui devient comme une ancre qui l'entraîne jusqu'au fond des abîmes, ou il sera aussi perdu que ses anciens camarades...

Copyright Capricci Films


Autant une confession autobiographique (ou le passé se confond avec le présent, tout comme l'imaginaire avec le réel) qu'une rumination kaléidoscopique sur la mémoire, les traumatismes et les rêves déchus, la péloche se fait aussi et surtout un refus douloureux et obstiné au processus d'effacement et d'oubli instrumentalisé de la société contemporaine, allant plus loin que la gentrification elle-même et qui a un effet dévastateur sur les communautés, sans même que les gens s'en rendent compte.
Cette propension effrayante à voir prospérer ses transformations physiques et sociologiques ou, non content de revendiquer l'espace physique d'une communauté, ces " gentrifieurs " veulent même leur ôter leur identité, considérant qu'il n'y a rien de valeur dans les quartiers qu'ils s'approprient.
Aussi politique qu'il est mélancolique, Residue est un bel uppercut déstabilisant (dans tous les sens du terme, les spectateurs sont prévenus), un vrai acte de défiance cinématographique de la part d'un wannabe cinéaste qui pourrait bien très incarner une future voix importante du cinéma ricain, dans les années à venir...
Jonathan Chevrier