(attention, spoils possibles)
Réunissant évidemment Matrix, mais aussi toutes les autres expériences réalisées ensuite (en particulier Cloud Atlas et Sense8), Lana nous propose un film qui fait autant office de suite que de constat et manifeste. Une oeuvre riche, dense, déconcertante et fascinante.
Tout d’abord, le film commence par défoncer clairement le système (à la fois les studios mais aussi le fandom toxique). Ce qu’il a tenté de faire de Matrix, de se l’approprier en broyant les Wacho et leur vision. Lana se réapproprie ainsi sa création. Plutôt que laisser le studio faire un 4e volet, elle reprend la main, dénonce les travers de cette idée et va plus loin en montrant que le système hollywoodien basé sur la nostalgie et le remake/suite sans sens à tout va a complètement perdu la boule et l’essentiel.
Tout ça en alignant de nouveaux concept de SF à tout va qui ont encore pour but d’abolir les frontières et d’établir du lien (thématique récurrente des Wacho), cette fois entre hommes et machines. Morpheus est devenu autre chose, les humains et machines peuvent en partie cohabiter, le bullet time n’a plus lieu d’être, autant de nouveautés SF qui sont certes moins ostentatoires (et souvent abordées avec beaucoup de tunnels verbeux au milieu du film) que les démonstrations techniques de la trilogie originelle mais qui n’en sont pas moins intéressantes à explorer.
Alors certes il y a moins d’action et celle-ci n’est pas aussi révolutionnaire et marquante qu’à l’époque, mais c’est parce que Lana a dépassé ce stade et cherche à parler avant tout de sentiments et c’est ce qui différencie ce film des 3 autres. Ainsi les scènes d’action sont moins bien filmées et on passe même assez vite dessus. Il n’empêche qu’on y décèle parfois des idées marquantes quand Neo ne fait pas que tendre les mains pour empêcher les balles de l’atteindre. A l’image de cette meute matrixée en mode suicide collectif pour empêcher la lumière d’arriver d’une grande réunion. Une image choquante mais qui illustre l’aveuglement du fandom ou plus largement d’une partie de la population rétrograde.
Car c’est là aussi que Matrix redevient complètement politique et gagne du coeur qui manquait dans la trilogie. En effet, l’enjeu central de Lana Wachowski est de faire se rejoindre Neo et Trinity. C’est leur amour qui transcende les choix qu’ils ont pu faire ou qu’on leur offre. Cet amour berce toute la seconde moitié du film et justifie ce nouveau choix esthétique de Matrix Resurrections, bien plus lumineux que les 3 volets précédents. A la mécanique originale succède maintenant l’émotion, les sentiments. Ce sont eux qui prennent le pas et guident enfin entièrement le film. Ainsi, les retrouvailles de Neo et Trinity, de Keanu Reeves et Carrie Anne-Moss, sont particulièrement émouvantes et pleines de sens.
Si Matrix Resurrections est aussi plein d’amour et de lumière c’est parce que Lana Wachowski en a aussi fait son cheval de bataille avec Sense8. Ce n’est pas pour rien qu’on retrouve une partie du casting de la série ici. En plus du plaisir de retrouver ces acteurs (dont les rôles ne sont malheureusement que fonction et presque figuration aux côtés de Jessica Henwick marquante avec Bugs), c’est l’état d’esprit et le propos politique de Sense8 qui berce cette nouvelle matrice. L’ouverture d’esprit, la bienveillance envers les autres, l’amour de son prochain, l’entraide, des valeurs « naïves » qui ont tendances à se perdre dans les discours réactionnaires qui se font entendre mais que Lana remet encore en avant sans jamais céder au cynisme ambiant, haut le poing levé avec fierté. Ce serait peut-être l’occasion de se réapproprier le terme « woke » avec tout ce qu’il veut dire de positif et humaniste. En ce sens, n’en déplaise aux haters, Matrix Resurrections est le blockbuster le plus ouvertement et revendicativement woke qui ne donne qu’envie de tout repeindre avec des arcs-en-ciel, et c’est beau.