[CRITIQUE] : Vitalina Varela

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Pedro Costa
Avec : Vitalina Varela, Ventura, Manuel Tavares Almeida,...
Distributeur : Survivance
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Portuguais.
Durée : 2h04min
Synopsis :
Vitalina Varela, une Cap-Verdienne de 55 ans, arrive à Lisbonne trois jours après les obsèques de son mari. Elle a attendu son billet d’avion pendant plus de 25 ans.


Critique :

Dans l'ombre de Dreyer et Ford, Pedro Costa fait de #VitalinaVarela une fascinante odyssée sur le deuil, le déracinement et l'oubli dans un Portugal contemporain, formidablement pictural (superbe photographie de Leonardo Simões) mais aussi douloureusement fataliste et mutique. pic.twitter.com/5oLSqnUvbG

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 12, 2022

Il n'y a aucune trace de légèreté dans aucun des plans du grandiose Vitalina Varela de Pedro Costa, une oeuvre inondée de noirceur et d'ombres qui imposent leur poids et leur résonances, qui habitent autant qu'elles écrasent les corps quasi-immobiles.
Seule une femme refuse de se soumettre à cet immobilisme mais aussi et surtout à cette noirceur omniprésente : Vitalina, une femme qui quitte les efforts de toute une vie pour retrouver son mari Joaquim, une immigrante capverdienne qui errent dans les ruelles de Cova da Moura, un quartier à prédominance capverdienne de Lisbonne, ou elle ne trouvera rien d'autre que le néant.
Faisant de l'obscurité non pas qu'un simple pari esthétique mais bel et bien un outil politique, un subtil exercice de représentation néo-colonialiste (ou les hommes et les femmes sont soumis à errer dans l'ombre de l'histoire, mais aussi et surtout de l'oubli), Costa ne cherche non pas à documenter (et justement, à la lisière du documentaire) leur vie en marge, mais bien de construire un long-métrage qui par la force de leur présence magnétique, affirme la dignité que leur statut de paria social semble nier.

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Plus qu'une simple fiction, Vitalina Varela prend de tout son long les coutures d'un énoncé retentissant de la réalité, que le cinéaste capture avec énergie (une tendance à filmer en contre-plongée, couplé à une utilisation du clair-obscur qui obscurcit les espaces tout en concentrant solennellement la lumière sur les corps et leurs regards) et dévotion, filmant ses personnages avec le même respect que les saints inspirent à la croyance religieuse.
Un rapport à la chrétienté et au spirituel qui se retrouve justement dans la dévotion et le processus du deuil de Vitalina, qui cherche inlassablement n'importe quel indice, même infime, parmi les décombres des dépossédés et oubliés par la mondialisation et la gentrification, pour reconstruire la vie de son mari, dénouant lentement son chagrin pour mieux réaliser que son mari n'était finalement qu'un autre étranger pour elle. Le cinéaste, qui retranscrit de manière viscérale son amour (cette affection mêlée de rage qu'elle continue de professer à son mari malgré sa mort et son énième abandon), filme également la maison de Vitalina, seul vestige encore en vie de cette union, avec la même conviction que le personnage a que cette construction est une expression identitaire dans un monde qui leur refuse tout, une partie d'elle-même et de son mari posée à jamais sur le ciment et les briques.
Dans l'ombre de Carl Theodor Dreyer et John Ford, Pedro Costa fait de son dernier effort une fascinante odyssée sur le deuil, le déracinement et l'oubli dans un Portugal contemporain, formidablement pictural (superbe photographie de Leonardo Simões) mais aussi douloureusement fataliste et mutique.
Jonathan Chevrier