De Emmanuel Carrère
Avec Juliette Binoche, Hélène Lambert, Léa Carne
Chronique : En adaptant le roman de Florence Aubenas, Emmanuel Carrère réalise un film juste et sensible, dans l’esprit du cinéma social de Ken Loach, réaliste mais sans misérabilisme. Ouistreham s’envisage comme une immersion dans le quotidien des travailleurs précaires, mais tire sa singularité du fait qu’il soit aussi un film d’infiltration. Pour les besoins de son livre, Aubenas a ainsi intégré incognito une équipe de femmes de ménage, en coupant complétement le contact avec sa vie parisienne.
Ouistreham se construit sur ce frêle équilibre qu’il parvient à maintenir tout du long. Le film saisit ce que l’écrivaine cherchait à exposer dans son récit, la vie de ces invisibles pour qui chaque jour est un combat pour joindre les deux bouts, payer le loyer et nourrir ses gosses. Mais il n’oublie pas de capturer des moments joyeux, bourrés d’humanité et de montrer que ce contexte est aussi propice à la création de liens forts, qu’il peut être le terreau d’une sincère solidarité et par extension d’une solide sororité.
Ouistreham n’élude cependant jamais la question du dilemme moral au cœur du film, et Carrère l’a sans doute plus mûri que Aubenas qui était, elle, dans l’action… Le petit carnet de Marianne/Florence rappelle en sous-texte le deuxième sujet du film, l’opposition de classes, l’impossible rapprochement entre deux mondes, celui des femmes de ménage de Ouistreham et des intellectuels parisiens. Est-ce que le geste, l’enquête journalistique justifie le mensonge ? Est-ce du cynisme, du voyeurisme ou un acte citoyen, altruiste ?
Il n’y a évidemment pas de bonne réponse à cette question, et c’est ce qui rend le personnage de Marianne si intéressant. Pour l’incarner, le choix d’une Juliette Binoche plus naturelle que jamais est judicieux, d’autant plus qu’elle sait s’effacer pour laisser la parole à des actrices non professionnelles épatantes de justesse.
Puissant dans sa mission documentaire, justement ambigüe dans les points de vue qu’il confronte, et bouleversant par les parcours qu’il raconte, c’est aussi à travers les questions qu’il soulève que Ouistreham est une réussite.
Synopsis : Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage. Confrontée à la fragilité économique et à l’invisibilité sociale, elle découvre aussi l’entraide et la solidarité qui unissent ces travailleuses de l’ombre.