[INSTANT LITTÉRATURE] : #3. Mansfield Park (Jane Austen)

Par Fuckcinephiles

 


" Quoi, un site centré sur le cinéma qui papote littérature, mais quelle hérésie ! ".
Voilà une manière polie de dire " qu'est-ce qu'on est en train de foutre ", mais à une heure ou la littérature n'a jamais autant été liée au septième art (ah, Hollywood et son manque d'originalité...), nous avons trouvé de bon ton, en temps que media, de voir un petit peu plus loin que le bout de notre plume, et d'élargir notre prisme de partage culturel en papotant littérature donc, sans pour autant que cela soit lié au cinéma - même si cela arrivera certainement souvent.
Armez-vous de vos lunettes, d'un marque-page et d'un potentiel chèque-cadeau FNAC pour faire vos emplettes, et lisez un brin nos recommandations littéraires pleines d'amour, au coeur de notre nouvelle section : Instant Littérature !



#3.Mansfield Park de Jane Austen



Mansfield Park
détient une place à part dans l'œuvre de Jane Austen. Pour la première fois, la romance introduite dans chacun de ses livres ne possède que peu d'intérêt. Car, ce qui intéresse l'autrice ici, c'est la moralité et la façon dont elle fait partie intégrante dans la classe bourgeoise de son époque. Que représente-t-elle ? Comment passer outre pour s'octroyer du plaisir, malgré les codes sociaux ?
Nous savons que Jane Austen adore les luttes de classe. Ses couples subissent tous les affronts possibles concernant l'écart de classe sociale. L'amour triomphe toujours, après bien des péripéties et des discussions pécuniaires (le mariage étant avant tout une transaction économique ; Jane Austen peut être romantique mais elle reste toujours lucide).

© AFP / Leemage


Dans Mansfield Park, Fanny Price s'éprend de son cousin Edward, beaucoup plus fortuné qu'elle. Cependant, Fanny n'est qu'une spectatrice du récit et personnifie avec beaucoup d'ironie (de la part de l'autrice, Fanny ne possède aucune once d'ironie) la boussole morale de l'histoire. Pour une fois dans son œuvre, ce qui est intéressant n'est pas le couple final, mais les relations qui ne se terminent pas par un mariage. Beaucoup plus sexuel que ses autres romans, Mansfield Park gratte sous le vernis de la bienséance. Les relations, si rigides sous l'époque georgienne, vernis par un protocole rodé auquel on ne peut se soustraire, ne sont pourtant pas dénuées de frivolité, si on lit entre les lignes de la courtoisie.

Fanny est arrachée à sa maison par "acte de charité", mais on ne lui laisse jamais oublier d'où elle vient et pourquoi elle est venue dans l'enceinte de la famille Bertram. Elle n'est même pas vouée à se marier et devient une sorte de fantôme, un entre-deux entre une domestique et une dame de compagnie. Son amour pour Edward Bertram, le deuxième fils, est un secret et demeure à l'être. Même à la toute fin, quand celui-ci, déçu en amour, se tourne vers sa cousine (sa confidente et amie depuis toujours) pour se marier avec elle, Fanny attend sagement qu'il se déclare. Le personnage ne prend aucune initiative, ne se permet aucune critique (et quand elle le fait, c'est avec dédain pour elle-même) et reste sobrement à sa place. Ce sont les autres personnages féminins, Miss Crawford et les deux sœurs Bertram, Maria et Julie, qui possèdent des traits de caractère imputables au style de Jane Austen. Considérée tout d'abord comme une intrigante, Miss Crawford finit par être le personnage le plus intéressant du récit. Elle se refuse à entrer dans une case et n'hésite pas à laisser apparaître ses désirs au grand jour. Vu par le biais de Fanny, le personnage paraît hautain et inconséquent. Mais n'augure-t-elle pas une sorte de liberté féminine, dans une époque corsetée ? D'un point de vue moral et en comparaison avec la parfaite Fanny, invisible et silencieuse (que Edward finira par choisir), Miss Crawford est odieuse. Pourtant, si on creuse un peu, ses choix ne sont-ils pas judicieux  ? Peut-être que Miss Crawford est la Elizabeth Bennet de Mansfield Park, héroïne vouée à être mise hors d'état de nuire ici, dans une histoire où la moralité emprisonne les désirs féminins. 
Par ce prisme, Mansfield Park interroge l'éducation des jeunes filles, à qui on interdit tout débordement. Fanny est la seule femme bien sous tout rapport dans l'histoire mais semble totalement insipide. Peut-être que, avec toute la délicatesse et le sarcasme dont elle était capable, Jane Austen a voulu nous dire que la perfection chez les femmes n'est qu'une illusion qu'entretient allègrement le patriarcat.
Laura Enjolvy