Avec ce film, Stéphane Brizé boucle sa trilogie sur un monde du travail déshumanisé et perverti par le libéralisme. Après s’être intéressé aux victimes de la précarité et du chômage (« La loi du marché »), puis aux luttes menées dans les entreprises (« En guerre ») ; il porte son regard vers les managers en souffrance de devoir appliquer des décisions allant à l’encontre de leur moral. Cadres supérieurs recrutés pour leur intelligence, leur esprit d’initiative et leur inventivité ; l’entreprise en fait de simples exécutants ; le bras armé d’une politique purement financière sans considération sociale et humaine. L’homme au cœur du film doit composer avec des injonctions incohérentes et s’en satisfaire. Eloquent de voir aussi comment l’entreprise détourne, travesti et dénature les valeurs de courage, d’éthique et de loyauté à son avantage ; ça fait froid dans le dos. Et d’autant plus que l’on perçoit très vite que le propos n’est pas manichéen. Stéphane Brizé est associé à nouveau avec Olivier Gorce au scénario. Et ils sont très documentés ; ils se sont basés sur des témoignages de DRH et cadres sup’ de divers secteurs pour écrire le film ; et selon leur dire, ils restent en deçà de ce qu’ils ont pu entendre.
Pour jouer, le cadre sous pression et essayant d’enrayer la machine à broyer ; ils font à nouveau confiance à un Vincent Lindon impérial face à une Marie Drucker dans le rôle surprenant d’une manager hors sol cynique et impitoyable. Ils sont entourés aussi de comédiens non professionnels qui font le job à merveille. Montage serré, tournage caméra épaule ou cadres fixes, en plus d’être percutant, le film est précis, chirurgical et haletant. Osons les références ; ce film est un mix entre Sautet et Loach ; même si le choix de montrer l’alternance entre vie privée et professionnelle pour montrer au combien les deux interagissent et au combien la vie pro peut détruire l’équilibre privé n’est pas toujours une réussite. Le burn out du fils du cadre faisant écho à son propre potentiel burn out n’est pas d’une écriture si subtile que le reste ; mais le reste est de si haut niveau que l’on passe allégrement l’éponge.
Un film référence qui rejoint deux piliers du genre : « Ressources Humaines » et « Violence des échanges en milieu tempéré ». Indispensable.
Sorti en 2022
Ma note: 17/20