L'Inconnu du Nord Express (1951) de Alfred Hitchcock

Après "Le Grand Alibi" (1950) et son accueil décevant Hitchcock revient, toujours en producteur indépendant pour Warner, à un film à suspense plus consistant en adaptant le roman "Strangers on a Train" (1950) de Patricia Highsmith dont c'est le premier roman et qui n'est donc pas encore l'une des plus grandes romancières mondiales. Pour l'adaptation le cinéaste fait appel à un autre romancier connu, Raymond Chandler auteur du mythique détective Philip Marlowe déjà porté à l'écran notamment avec "Le Grand Sommeil" (1946) de Howard Hawks, malheureusement les deux artistes ne vont pas s'entendre et Chandler quitte le navire. Hitchcock continue à écrire avec Czenzi Ormonde assistante de la co-productrice  du film Barbara Keon, il retrouve aussi Whitfield Cook après "Le Grand Alibi", et surtout Ben Hecht mais non crédité qui collabore là pour la 6ème fois avec Hitchcock depuis "Lifeboat" (1944)... Un champion de tennis est abordé dans un train par un inconnu mystérieux qui émet l'idée du meurtre parfait, à savoir il supprime son épouse et lui en échange tuerait son père, ne se connaissant pas et n'ayant pas de mobile il s'agirait d'un double meurtre parfait. Le champion de tennis ne prend finalement pas au sérieux cet homme et se quitte là-dessus. Mais quelques temps après, sa femme est assassinée et l'inconnu réapparaît en signifiant au champion que c'est à son tour de tenir sa part du marché... 

L'Inconnu du Nord Express (1951) de Alfred Hitchcock

Le champion de tennis Guy Haines est incarné par Farley Granger qui retrouve Hitchcock après "La Corde" (1948), tandis que son statut a encore évolué après sa performance dans "Les Amants de la Nuit" (1949) de Nicholas Ray avant d'être au sommet avec "Senso" (1954) de Luchino Visconti, l'inconnu Bruno Anthony est lui joué par Robert Walker vu dans "La Justice des Hommes" (1942) de George Stevens et "Le Maître de la Prairie" (1947) de Elia Kazan mais qui ne verra pas le succès du film puisqu'il meurt prématurément (mélange alcool-médicaments) avant la sortie du film. La femme amoureuse du tennisman est incarnée par Ruth Roman remarquée dans "La Garce" (1949) de King Vidor et "Secrets de Femmes" (1950) de Robert Wise. Autour d'eux citons Marion Lorne et Kasey Rogers (crédité sous Laura Elliott) qui se retrouveront toutes deux dans la série TV culte "Ma Sorcière Bien-Aimée" (1966-1972), Patricia Hitchcock fille de, qui revient devant la caméra de son père après "Le Grand Alibi" et avant "Psychose" (1960), Leo G. Carroll dans le 5ème des six films avec Hitchcock depuis "Rebecca" (1940) et qui retrouve après "Ambre" (1947) de Otto Preminger sa partenaire Norma Varden vue plus tard dans "Les Hommes préfèrent les Blondes" (1953) de Howard Hawks et "Témoin à Charge" (1957) de Billy Wilder, Jonathan Hale qui retrouve Robert Walker  après "Au Carrefour du Siècle" (1947) de Norman Taurog vu également dans "Saratoga" (1937) de Jack Conway et "La Rivière d'Argent" (1948) de Raoul Walsh, Howard St. John vu dans "C'étaient des Hommes" (1950) de Fred Zinnemann et "La Peur au Ventre" (1955) de Stuart Heisler, puis enfin on retrouve deux fidèles du réalisateur, Leonard Carey qui retrouve l'acteur Leo G. Carroll après "Rebecca" (1940), "Soupçons" (1941) et "Le Procès Paradine" (1947), et Murray Alper vu dans "Joies Matrimoniales" (1941) et "Cinquième Colonne" (1942)... Hitchcock lui-même présentait son film ainsi : "Le point de départ, c'est que, si vous serrez la main d'un fou furieux, vous vendez peut-être votre âme au diable..." De ce principe on suit deux hommes qui ne se connaissent pas mais qui s'échangent un meurtre pour se trouver un alibi à une différence près d'importance avec le roman : Hitchcock ne fait pas passer à l'acte l'un des deux protagonistes. Un changement qui s'avère judicieux car il permet de jouer avec plus de vices au jeu du chat et de la souris, les choix ayant toujours des conséquences incontrôlables. On est surtout déçu par le personnage de Guy Haines, la dimension psychologique de ce tennisman manque un peu de corps et de chair. Farley Granger est un peu lisse et on est d'autant plus frapper par la performance de Robert Wagner qui impose une démence machiavélique particulièrement inquiétante. Ironie du sort, dans le roman Bruno est un alcoolique et névrosé ce qu'était réellement l'acteur Robert Wagner dans la vie, tandis que dans le film le personnage devient un homme stylé et cultivé. Par là même, Guy Haines est dans le roman un architecte, alors que dans le film il est un sportif en quête d'ascension sociale.

L'Inconnu du Nord Express (1951) de Alfred Hitchcock

Ainsi dans le film le niveau social des deux hommes est mis plus au même niveau ce qui accentue mine de rien la dimension psychologique l'un et l'autre formant une sorte de docteur Jekyll and mister Hyde. Une dualité s'instaure alors, un système que Hitchcock avait déjà mis en place dans "L'Ombre d'un Doute" (1943), ainsi on a un double wisky, deux enfants, deux paires de lunette, deux policiers, un match de tennis en double... etc... Subrepticement le double est donc partout. D'autres modifications sont apportées et pas des moindres, d'abord la relation oedipienne du Bruno avec sa mère, mais aussi l'ajout du personnage de Barbara jouée par la fille du réalisateur Patricia Hitchcock ; si cette dernière aimait à affirmer qu'elle n'avait pas de traitement de faveur il n'en demeure pas moins que ce rôle n'existe pas dans le roman, qu'il lui a été offert avec une importance non négligeable sur le récit avec des dialogues inspirés ("Papa n'a pas peur d'un petit ,scandale, il est sénateur") et une des scènes les plus marquantes du film où Barbara vit la sensation d'un étranglement par un simple regard. Après trois films ayant déçu Hitchcock revient avec ce film en pleine forme ce que prouve sa mise en scène qui est de nouveau créative comme le prouve cette scène avec sa fille. Mais on peut aussi citer la séquence du meurtre vu par le reflet dans un verre de lunette ou le briquet dans la bouche d'égoût. Le réalisateur offre donc un bijou de mise en scène (alternance avec gros plans, découpage nombreux) jusqu'à la tension extrême du grand final à la fête foraine et le tour de manège ; pour l'anecdote, un gros plan de Bruno/Walker sera emprunté et repris avec l'accord de Hitchcock pour le film "My Son John" (1951) de Leo McCarey pour combler la disparition de l'acteur mort avant la fin du tournage. Notons que la scène du manège est une des plus difficile tourné par Hitchcock, une cascade éprouvante qui a été assuré sans trucage ! Le film est semé de scène choc, ce qui donne aussi la sensation d'une évolution par à coup qui marque d'autant plus les esprits. Un film qui reste un grand cru et qui marque aussi un nouveau tournant pour Hitchcock puisque c'est la première collaboration avec Robert Burks, Chef Opérateur qui va devenir un collaborateur majeur pour encore 12 films, soit l'Âge d'Or du réalisateur. Précisons que le film existe en deux versions, une américaine dite "originale" qui atténue l'idée d'une éventuelle homosexualité, puis la version anglaise plus longue de quelques minutes retrouvée en 1996 et que Hitchcock avait mystérieusement gardée secrète. En tous cas, après quelques déceptions ce film signe le grand retour de Hitchcock, avec un retour au succès en salles, un vrai retour à l'innovation technique et qui ouvre la voie à la décennie majestueuse du cinéaste.

Note :      

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17/20