[CRITIQUE/RESSORTIE] : Deux sous d'espoir

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Renato Castellani
Avec : Vincenzo Musolino, Maria Fiore, Filomena Russo, Luigi Barone, …
Distributeur : Les Films du Camélia
Budget :
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Italien
Durée : 1h50min
Date de sortie : 23 juillet 1952
Date de ressortie : 30 mars 2022
Synopsis :
Antonio, modeste ouvrier, rentre dans son village après son service militaire. La première joie du retour passée, il lui faut affronter les exigences de la vie : sa mère et ses deux jeunes sœurs sont à sa charge. Pour les nourrir et pouvoir épouser Carmela, Antonio se fait tour à tour sacristain, afficheur, laboureur, donneur de sang… Son amour pour Carmela lui donne tous les courages, mais s’il se rit de tout, la chance, elle, ne se décide pas à lui sourire.


Critique :

#DeuxSousDespoir envoie balader les conventions sociales avec ardeur, sorte de Roméo et Juliette dans une Italie repliée sur sa misère ou Castellani célèbre l’amour et la prise de risque en imaginant un monde débarrassé du regard contraignant de la pauvreté. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/UzuPCQWf7O

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) March 29, 2022

Dans l’histoire du Festival de Cannes, il est arrivé qu’une Palme d’or se découpe en deux. En 1952, c’était Orson Welles et Renato Castellani qui avaient dû se partager la récompense. Au côté du drame shakespearien à la plastique visuelle millimétrée du cinéaste américain, Othello, se tenait un examen minutieux mais euphorisant de la société italienne, Deux sous d’espoir.
Le film s’inscrit dans un courant des années cinquante bien particulier, celui du « néoréalisme rose ». Prenant le ton réaliste et le caractère social du néoréalisme italien, ce mouvement lui répond en y intégrant un ton plus mordant et comique, qui préfigure les comédies à l’italienne dites commedia all’italliana.

(c) Les Films du Camélia


Deux sous d’espoir est porté par un double regard sur un petit village d’Italie : celui quasi-documentaire sur la condition sociale de ses personnages et celui sur une histoire d’amour, assez commune, entre des amants qu’un monde sépare. Renato Castellani s’emploie à nous entraîner dans un tourbillon de sentiments contradictoires : le dépit, la frustration, l’amour, la fierté ou la modestie.
Ce tourbillon, c’est dès le début du film qu’il survient. La mère d’Antonio annonce à qui le veut que son cher fils aîné revient de son service militaire. La caméra la suit tandis qu’elle marche les bras en l’air, clamant des phrases à une vitesse effarante. Elle se positionne presque comme le cliché de la mama italienne, bruyante et mère poule, mais bien vite le cinéaste lui donnera de la nuance. Il en donne d’ailleurs à tout son film, qui n’est jamais celui que l’on croit. On dirait que le cinéaste s’en amuse, car il décale toujours nos attentes et étire à foison le moment où, enfin, le couple maudit pourra partir ensemble.
Le retour d’Antonio n'est pas synonyme de joie, comme on pourrait le croire. Aussitôt le moment d’allégresse passé, le pragmatisme prend le dessus. Antonio devient une autre bouche à nourrir, d’autant qu’il est un jeune homme vigoureux et en bonne santé, un gouffre financier à lui seul. La porte refermée, les villageois partis, la mère d’Antonio se lamente. Comment vont-ils faire pour ne pas mourir de faim ? Renato Castellani n’édulcore pas la misère de ce petit village, où les chômeurs forment une file d’attente en face de l’Église, en attendant un coup du destin. Mais Deux sous d’espoir porte bien son nom car Antonio n’en manque jamais (d’espoir) malgré ses nombreuses déconvenues.

(c) Les Films du Camélia


On pourrait voir le couple que forme Antonio et Carmela comme l’image parfaite de l’expression « les contraires s’attirent ». Alors que le premier est issu d’une famille précaire et qu’il doit, depuis la mort de son père, tenir le rôle de l’homme de la maison, Carmela baigne dans l’aisance financière, libre de toute contrainte. Tandis qu’Antonio doit subvenir à ses besoins, abandonnant ainsi l'insouciance de la jeunesse pour se vêtir des habits de la responsabilité, Carmela, en comparaison, est une jeune fille capricieuse et gâtée. Mais elle est aussi le feu vivant d’une révolte bien légitime, mettant en lumière les injustices sociales et les stéréotypes de genre sans s’en rendre compte. Il n’y a que l’amour qui lui importe et son caractère bien trempé emmène le récit vers des péripéties truculentes qui l’empêche de plier sous le poids de la misère. Si Antonio vit l’oppression sociale, Carmela doit subir l’oppression patriarcale. Ses incartades sont vues comme un affront pour son père, surtout pour un homme de sa position qui peut donner une belle dot à sa fille. Nous sommes à une époque où donner une gifle à une jeune fille semble naturel, surtout si elle s’est “mal comportée”. Mais Carmela s’en offusque peu et cette violence lui permet, au contraire, de se révolter d’autant plus.
Le récit du film se structure comme un cercle vicieux, où toute tentative de se sortir de sa condition se solde par un échec cuisant. Antonio sait bien que sa position actuelle dans la société l’empêche de se marier et donnerait à sa famille une énième bouche à nourrir. Optimiste, il essaie pourtant, avec les armes dont il dispose : sa vigueur, son envie de bien faire, sa bonhomie. Et chaque fois, c’est le drame. Pour le côté humoristique, on donne souvent le mauvais rôle à Carmela, qui ironiquement s’éloigne d’une fin heureuse en contrariant toutes les tentatives de l’élu de son cœur pour gagner de l’argent afin de l’épouser. Mais Renato Castellani dédaigne le manichéisme en donnant raison à sa jeune fille en feu. Pour se sortir d’un système injuste, il ne faut pas en épouser les codes mais s’en extraire.
Deux sous d’espoir envoie balader les conventions sociales avec beaucoup d’ardeur et d’humour. Sorte de Roméo et Juliette dans une Italie repliée sur sa misère, Renato Castellani célèbre l’amour et la prise de risque en imaginant un nouveau monde débarrassé du regard moralisateur et contraignant de la pauvreté.
Laura Enjolvy