Réalisateur : Gaspar Noé
Avec : Françoise Lebrun, Dario Argento, Alex Lutz,...
Distributeur : Wild Bunch
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 2h22min
Synopsis :
La vie est une courte fête qui sera vite oubliée.
Critique :
Entre le songe terrifiant sur une décrépitude qui nous attend tous et le drame empathique au réalisme brut émouvant, Noé fait de #Vortex non pas une oeuvre cruelle et éprouvante mais bien un regard profond et dur sur l'immobilité triste et sourde avec laquelle la mort nous enlace pic.twitter.com/oM1pQ5HExE
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 12, 2022
Qu'on l'aime ou qu'on le déteste (nous sommes à jamais du premier camp, c'est dit), peu de réalisateurs en activité tel que Gaspar Noé ont un esprit aussi perspicace et affûté pour (sur)nager dans les eaux troubles et choquantes du feel bad movie, à tel point qu'il n'y a rien d'étonnant à le voir s'attaquer frontalement à la mort et à son inéluctabilité avec Vortex, au travers d'une exploration feutrée et mélancolique des effets déchirants et maladroits de la vieillesse autant que du déclin mental.
Posant sa caméra au coeur l'appartement parisien exigu, Noé suit avec une empathie rare l'intimité d'un couple d'octogénaires (incarnées par un tandem Françoise Lebrun et Dario Argento absolument formidable).
Elle est une ancienne psychiatre et lui est un auteur et critique de cinéma vieillissant, et il est clair que leurs meilleurs jours sont loin derrière eux : elle commence lentement à être dévorée par la démence tandis que pour lui, son processus créatif (il écrit un livre sur le cinéma) est éparpillé sur des notes de plus en plus illisibles.
Copyright Wild Bunch Distribution
La torsion du regard de Noé ici n'est plus vissée sur l'idée habituelle sur laquelle est bâtie tout son cinéma, celle de montrer comment tout va bien jusqu'à ce que tout aille mal : cette fois, le mal est déjà là et son emprise se fait de plus en plus écrasante chaque jour, sur le quotidien de deux âmes fatiguées par une vie qui ne leur pardonne plus rien, et littéralement à la merci d'un temps qui détruit absolument tout.
Aussi détachée qu'elle soit de la réalité et qu'elle puisse rendre fou son mari fragile mais lucide - il est le gardien affaiblit d'une femme qui l'est tout autant -, les deux époux (maudits) s'aiment pourtant toujours tendrement, et ils s'aimeront jusqu'au bout.
Cadrant tout son film en split screen, chaque moitié du couple habitant son propre cadre (comme pour mieux pointer l'isolement progressif et la mort qui rôdent au-dessus de leur tête) et nourissant une routine/existence qui lui est propre (des tâches impénétrables mais importantes pour chacun, et qui ne font sens que pour eux, passant parfois de l'absurde à l'activement nuisible), à peine bousculée par la présence de leur fils, Stéphane (incarné avec une grâce et une patience incroyable par un fantastique Alex Lutz, un père de famille divorcé/junkie inquiet et frustré de ne pas pouvoir aider ses parents); le film se fait une odyssée domestique anxiogène qui transpire le vécu, où chaque pièce, chaque détail infime fait jadis pour bâtir un cocon parfait, devient l'improbable pièce d'une puzzle empoisonné qui prend lentement et sinueusement son temps pour frapper et faire mal.
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Réussissant l'équilibre instable mais salutaire entre le cauchemar terrifiant et claustrophobe sur une décrépitude qui nous attend tous, et le drame empathique et - étrangement - chaleureux au réalisme brut émouvant (au point même que le cinéaste semble au final lui aussi mal à l'aise a l'idée de devoir abandonner ses protagonistes), Noé, dont le style reste plus savoureusement conflictuel et nerveux que jamais (entre coupes tremblantes et longues prises étouffantes, dont les derniers instants dévoilent toute la maestria et la terrible puissance de son parti pris d'écran partagé), fait de Vortex non pas une oeuvre cruelle, froide et éprouvante - où alors pas totalement -, mais bien plus un regard profond, dur et poétique sur l'immobilité triste et sourde avec laquelle la mort nous enlace.
Au fond, il n'y a rien de plus effrayant et traumatisant que la vie.
Jonathan Chevrier