[CRITIQUE/RESSORTIE] : Un vrai crime d'amour

Par Fuckcinephiles
Réalisateur : Luigi Comencini
Avec : Giuliano Gemma, Stefania Sandrelli, Brizio Montinaro, Renato Scarpa,…
Distributeur : Les Films du Camélia
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Italien.
Durée : 1h36min.
Date de sortie : 13 novembre 1974
Date de ressortie : 13 avril 2022
Synopsis :
Carmela et Nullo sont ouvriers dans une usine de la banlieue industrielle de Milan. La relation amoureuse qui se tisse entre eux les confronte à l’héritage social et idéologique qui les sépare : Nullo, du nord, est issu d’une famille communiste et athée, tandis que Carmela, immigrée sicilienne, porte avec elle tout le poids d’une culture catholique et patriarcale.


Critique :

#UnVraiCrimeDamour incarne une fenêtre inédite des 70s dont le propos offre un miroir à notre actualité. Derrière l’histoire tragique d’un couple maudit se cache un regard acéré sur la précarisation des travailleur⋅euses et le mépris de leur condition de travail (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/fuYJoQlrpx

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 12, 2022

Dans les années 70, le réalisateur italien Luigi Comencini déploie une sorte de trilogie où il analyse durement les mœurs sociales de son pays. Un vrai crime d’amour, sorti en 1974, se place comme le point central de ce triptyque. On y suit un mélodrame amoureux où se joue également le sort des ouvriers, avec des conditions de travail désastreuses, qu’ils acceptent malgré la présence d’un syndicat au sein de l’entreprise.
Luigi Comencini signe ici un film engagé, écrit par le non moins engagé Ugo Pirro, scénariste phare de cette époque contestataire. Mais Un vrai crime d’amour est aussi une terrible histoire d’amour, dont la tragédie est mêlée à la misère sociale italienne. Le film se sert du ton mélodramatique pour élever son récit et étudier plus longuement les mécanismes de domination.

Copyright Les films du Camélia


Tout commence par un drame, le crime du titre. Nullo Bronzi (Giuliano Gemma) marche calmement vers le patron au sein d’une usine en grève. Le générique nous fait basculer en arrière, tandis que les noms de l’équipe se détache en jaune devant les machines de l’usine, qui fonctionne. C’est dans cette fameuse usine que Nullo rencontre Carmela (Stefania Sandrelli), un coup de foudre instantané tandis qu’elle quitte son lieu de travail en larmes. Cette rencontre est déjà teintée de tragédie, à cause de l’ouverture et à cause de ses larmes, qui préfigurent celles qui couleront sur la joue du personnage tout au long du film. Nullo s’empresse d’aller la rassurer, jetant ainsi une journée de travail pour la raccompagner chez elle. Ce choix donne l’occasion au cinéaste d’explorer la condition de Carmela, jeune sicilienne venue dans la banlieue milanaise pour échapper à la misère.
Pourtant, cette misère la rattrape tandis que la caméra suit le duo dans les méandres des transports qui les amènent, une heure plus tard, devant l’habitation en piteuse état de Carmela. Un travelling arrière dévoile son environnement dans une atmosphère délétère. La caméra prend le point de vue de Nullo, qui découvre en même temps que nous, un champ de ruines. Cette séquence ouvre la dualité qui régira tout le film. Dans Un vrai crime d’amour, deux mondes s’entrechoquent. Celui de Nullo, ouvrier anarchiste qui vit dans une tour de béton — vue comme le summum de la richesse dans les yeux de Carmela — installé au sein du syndicat de l’entreprise, si confortable qu’il peut s’offrir une journée off pour son anniversaire afin d’aller s’acheter des gâteaux. De l’autre côté, le monde de Carmela est structuré autour de privation économique (les comptes sont effectués dans le but de pouvoir repartir vivre en Sicile) mais aussi dans son éducation catholique. Une scène dans les vestiaires des hommes de l’usine donne le ton et les préjugés autour des siciliennes ont la vie dure. Elles sont vues comme des puritaines, que ces hommes comparent aux milanaises, plus libérées sexuellement. Les prudes et les putains. Cette vision est appuyée par une scène dans le vestiaire des femmes, où la parole, crue, accompagne la dénudation des corps. Carmela les écoute et se ne déshabille qu’à moitié, n’osant pas se dévoiler entièrement, même entourée de femmes.

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Carmela est un personnage qu’il faut savoir appréhender pour comprendre toutes ses nuances. Au premier abord, elle semble indécise, presque frivole dans sa façon de souffler le chaud et le froid face à son amant qui, lui, est sûr de son amour. Il faut tourner le regard vers son monde, que la caméra filme sans filtre, pour entrevoir son point de vue. Le personnage subit une double peine. Une condition féminine enfermée dans la religion et le mépris de ses conditions de travail en tant qu’ouvrière. Son va et vient amoureux, qui pourrait avoir un charme comique, s’explique par la peur de son frère et par son envie de s’en libérer. Ainsi, Carmela est capable de prendre des risques (elle invite Nullo chez elle pour y faire l’amour) mais est aussi capable de se renfermer sur elle-même, comme une enfant apeurée. Le personnage encapsule la dichotomie de son monde, unifié par une cause commune mais où dominent encore les inégalités, même au sein d'un univers précarisé. Un monde brumeux où les corps humains ne sont que des outils industriels.Ainsi Un vrai crime d’amour se regarde comme une fenêtre inédite de l’époque, dont le propos offre un miroir à notre actualité. Derrière l’histoire tragique d’un couple maudit se cache un regard acéré sur la précarisation des travailleur⋅euses et sur le mépris de leur condition de travail, au sein d’un regard plus global (et précurseur pour l’époque !) des conséquences écologiques dramatiques du rendement incessant.
Laura Enjolvy