Réalisateur : Hideo Nakata
Avec : Hitomi Kuroki, Rio Kanno, Mirei Oguchi,…
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Budget : -
Genre : Fantastique, Épouvante-horreur.
Nationalité : Japonais, Français.
Durée : 1h41min.
Date de sortie : 26 février 2003
Date de ressortie : 13 avril 2022
Synopsis :
En instance de divorce, Yoshimi et sa fille de six ans Ikuko emménagent dans un immeuble vétuste de la banlieue de Tokyo. Alors qu’elles tentent de s’acclimater à leur nouvelle vie des phénomènes mystérieux se produisent. Qui est cette fillette en ciré jaune qui se promène dans les couloirs ? Pourquoi un petit sac pour enfant rouge ne cesse d’apparaître entre les mains d’Ikuko ? Quelle est l’origine de ces ruissellements qui s’étendent sur les murs et le plafond de leur appartement ? Une menace venue de l’au-delà va tenter de séparer la mère de sa fille.
Critique :
En remontant à la source de nos peurs enfantines tout en exacerbant grâce à elles la sensibilité du sentiment maternel, un Hideo Nakata sous influence fait de #DarkWater un bijou de vertige mélancolique sur l'absence et le deuil, où l'émotion l'emporte constamment sur l'angoisse. pic.twitter.com/Lj5yTibHlA
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 13, 2022
Hideo Nakata est de ces rares cinéastes a avoir été une victime directe de son succès, dans le sens où il a à la fois lancé une véritable vague horrifique sans précédent aux quatre coins de l'Extrême-Orient avec Ring (redéfinissant les contours du film de fantômes cher à Nobuo Nakagawa, avant d'être copié à toutes les sauces par des péloches arrivant très rarement à son niveau) autant qu'il a aussi eu sensiblement du mal à faire aussi bien par la suite, quitte à se perdre dans une redite malheureuse (Ring 2 et le moins maladroit Le Cercle 2 en tête), condamné qu'il est à n'être le faiseur de rêve que d'un seul genre.
En ce sens, son Dark Water a presque tout d'un petit miracle sur pellicule, dans la manière où il a su habilement livrer une variation fine et subtile de son chef-d'oeuvre fondateur (tout comme lui, il est une adaptation d'une nouvelle de Koji Suzuki), tout en épousant à nouveau les contours d'une horreur nippone aussi rêche que froide, articulée aussi bien autour de l'invisible (cette propension si nippone de nous faire peur sans rien montrer où presque) et de l'audible, que d'une confrontation jubilatoire et sinistre entre réalité et au-delà.
Copyright The Jokers / Les Bookmakers
Mais le sel ici se retrouve dans la faculté qu'à Nakata de confronter son personnage titre autant que son auditoire à ses propres cauchemars, dans un récit faussement simpliste où l'horreur est presque superficielle (même si les moments de terreurs sont diablement efficaces, ils sont utilisés comme de purs ressorts dramatiques) en comparaison d'une veine mélodramatique littéralement à fleur de peau.
Ici, les artifices de l'épouvante (avant tout et surtout une maîtrise folle du hors champ et de l'horreur subjective) sont subtilement plaqués sur les problèmes au quotidien qui frappent une mère de famille troublée, Yoshimi : un divorce difficile et la garde de sa jeune fille.
Dégoulinant au coeur d'un cadre aussi impersonnel qu'anxiogène (ces immenses tours de béton de la banlieue Tokyoite, désertées par toute âme qui vive ou presque), les flaques sombres qui envahissent le quotidien de Yoshimi ne sont que le miroir tourmentée de la manière dont elle se noie psychologiquement mais aussi intimement, dans la tragédie d'une société contemporaine ultra-patriarcale où elle n'existe plus (renforçant de facto son isolement) puisqu'elle n'est plus définie en tant qu'épouse aimante et dévouée.
Plus l'eau monte, plus celle-ci agit comme un indicateur cruel de sa détresse et de sa perte d'emprise sur son monde (les réminiscences d'une enfance douloureuse, la quête désespérée d'un emploi, une séparation dans laquelle elle s'embourbe ou encore la crainte permanente d'être une mauvaise mère pour sa fille).
Copyright The Jokers / Les Bookmakers
En remontant à la source - littéralement - des peurs enfantines de Yoshimi (formidable Hitomi Kuroki) mais aussi des nôtres - la solitude et l'abandon -, tout en exacerbant grâce à elles la sensibilité du sentiment maternel jusqu'à un raz-de-marée final qui invoque le sacrifice ultime (en réponse à une innocence elle-même sacrifiée par l'éclatement de la cellule familiale); un Hideo Nakata sous influence (on pense instinctivement au monument Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg) fait de Dark Water un bijou de vertige mélancolique sur l'absence et le deuil où l'émotion l'emporte constamment sur l'angoisse, aussi perturbante et traumatisante soit-elle.
Ce Nakata nous manque, terriblement.
Jonathan Chevrier