Après son auto-remake "L'Homme qui en Savait Trop" (1956), et désormais alternant avec sa série TV "Alfred Hitchcock presents" (1955-1962), le réalisateur tombe sur un article qui va lui servir sur un plateau une histoire vraie ce que le cinéaste s'est approprié comme son sujet de prédilection depuis ses débuts : le faux-coupable ! Ainsi c'est en lisant l'article "A Case Identity" (1953) de Herbert Breane dans le Life Magazine qu'il prend connaissance d'un fait divers qui a logiquement séduit le cinéaste, à savoir l'histoire vraie de Manny Balestero accusé d'une série à mains armées après avoir été reconnu par plusieurs témoin. Fortement intéressé Alfred Hitchcock se reposera pour le scénario sur le récit "The True Story of Christopher Emmanuel Balestero" (1956) de Maxwell Anderson, scénario qui sera peaufiné par Angus MacPhail, auteur que Hitchcock a connu durant ses années à la Gaumont British Picture au début des années 30, inventeur du célèbre Macguffin cher à Hitchcock, les deux hommes se retrouvent donc après plusieurs collaborations parfois non créditée, citons notamment les deux moyens métrages de propagande "Aventure malgache" (1944) et "Bon Voyage" (1944), puis surtout le film "La Maison du Docteur Edwardes" (1945)... Manny Balestero, musicien de jazz dans un célèbre club tire le diable par la queue et fait tout pout limiter son surendettement malgré son bonheur familial avec son épouse et ses deux jeunes fils. Mais un jour la police l'arrête à la porte de son domicile, il apprend alors que plusieurs témoins le désigne expressément comme étant un braqueur. Perdu, ne comprenant rien, le terrible engrenage se met en place jusqu'à sa condamnation tandis que ses proches se battent pour comprendre et prouver son innocence...
Balestero est incarné par Henry Fonda pour son unique expérience avec Hitchcock, star au sommet après plusieurs chefs d'oeuvres dont ceux pour John Ford avec qui il aborda déjà la pauvreté avec "Les Raisins de la Colère" (1940), tandis qu'il retrouvera aussi le tribunal juste après avec "Douze Hommes en Colère" (1957) de Sidney Lumet. Son épouse est incarnée par Vera Miles également vue chez John Ford avec "La Prisonnière du Désert" (1956) et "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962) et qui retrouvera Hitchcock dans "Psychose" (1960). La maman du faux coupable est interprétée par Esther Minciotti vue dans "La Maison des Etrangers" (1949) de J.L. Mankiewicz et "Marty" (1955) de Delbert Mann. Son beau-frère est joué par Nehemiah Persoff vu plus tard dans "Cote 465" (1957) de Anthony Mann, "Certains l'Aiment Chaud" (1959) de Billy Wilder ou "La Chevauchée des Bannis" (1959) de André De Toth. L'avocat est incarné par Anthony Quayle remarqué surtout plus tard dans "Les Canons de Navarone" (1961) de Jack Lee Thompson, "Lawrence d'Arabie" (1962) de David Lean et surtout le déchirant "L'Incompris" (1966) de Luigi Comencini. Citons encore Werner Klemperer qui retrouve Hitchcock aussitôt après dans la série TV "Alfred Hitchcock Presents" (1956-1959) et qui sera surtout connu pour son rôle de colonel Klink dans la série TV "Papa Schultz" (1965-1971), Harold J. Stone vu dans l'univers de la boxe avec coup sur coup "Plus Dure sera la Chute" (1956) de Mark Robson et "Marqué par la Haine" (1956) de Robert Wise, et retrouvera ensuite dans "Spartacus" (1960) de Stanley Kubrick son partenaire Dayton Lummis vu aussi dans "Jules César" (1953) de J.L. Mankiewicz, "20000 Lieues sous les Mers" (1954) de Richard Fleischer et "Elmer Gantry le Charlatan" (1960) de Richard Brooks, puis enfin Peggy Webber vue dans "Macbeth" (1948) de et avec Orson Welles et "Duel sous la Mer" (1951) de John Farrow... Hitchcock se réinvente sans cesse, sur le forme comme sur le fond le cinéaste cherche et se cherche, à l'instar de la comédie noire "Mais qui a tué Harry ?" (1955) cette fois il choisit un hyper réalisme quasi documentaire, un style inédit chez lui. En effet, le réalisateur tourne sur les lieux même du drame dont la ville de Jackson Heigts et surtout le club de jazz Stork Club, mais il a aussi utilisé les vrais noms des protagonistes à l'exception notable du procureur qui refusa, des protagonistes qui pour certains seront conseillers techniques sur le tournage dont quelques membres de la famille Balestero, les propriétaires du magasin d'alcools et même certains policiers tournant même dans les locaux de la NYPD.
Pour accentuer le drame et le côté documentaire le cinéaste choisit, après plusieurs films en couleurs, le Noir et Blanc avec Robert Burks, son Directeur Photo attitré depuis "L'Inconnu du Nord-Express" (1951). Insistons alors sur le fait que Hitchcock retrace le parcours de Balestero de façon méthodique et fidèle, de sa situation familiale à l'issue finale en passant par le fatalisme prude du présumé coupable (regard hébété, son calme et sa perdition) ou la dépression de son épouse. On note pour l'issue finale qu'on se doute du pourquoi du comment dès le départ, une hypothèse dont Hitchcock s'est servi peu de temps avant dans l'épisode n°10 "The Case of Mr. Pelham" (1955) de "Alfred Hitchcock Presents", puis juste après dans son prochain film "Sueurs Froides" (1958). Mais si on salue une fois de plus l'audace et l'ambition du projet c'est justement le manque de suspense qui déçoit. Le twist final est trop évident, tandis que la dépression de l'épouse paraît un peu "too much" non pas dans l'évidence mais dans le jeu de Vera Miles, dans la "folie" ainsi mise en lace plutôt qu'une dépression "compréhensive". Le cinéaste dira de son film : "Je filme des innocents dans un monde immoral." dans un style si réaliste que le film sera naturellement très apprécié en Europe et surtout dans la France de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard écrira dans les Cahiers du Cinéma : "La plus incroyable des aventures parce que justement nourrie par une approche documentaire des plus parfaites." Néanmoins, le film sera par contre un gros échec aux Etats-Unis, ce qui explique peut-être que ce film restera la seule collaboration entre le réalisateur et la star Henry Fonda. Pour l'anecdote, précisons que Hitchcock ne fait pas son caméo habituel dans ce film, bien que tournée, il préférera cette fois être le narrateur du début du film ce qui fait qu'il s'agit du seul film où on entend la voix du maître. En conclusion, ce film est une vraie curiosité cinéphile, mais le manque d'enjeu est un peu dommageable.
Note :