En tout cas, une soirée contrastée, entre le stress palpable de Virginie Efira, pourtant rompue à l’exercice de l’animation télévisuelle, l’émotion de Forest Whitaker, la nonchalance de Vincent Delerm, la décontraction de Pierre Lescure pour sa dernière édition en tant que président…
Curieuse cérémonie capable d’enchaîner un laïus formaté sur le glamour du festival et les discours engagés d’un Forest Whitaker, invité d’honneur de cette édition 2022, dont la fondation œuvre pour la paix et le développement des pays pauvres, ou du président du jury, Vincent Lindon, qui compte bien utiliser de son pouvoir pour distinguer des œuvres humanistes, qui mettent en lumière les plus démunis.
Sans transition, le gala est passé d’un numéro de Vincent Delerm faisant timidement entonner à l’assemblée une version douce (neurasthénique, diront certains) de « Que je t’aime » à l’apparition d’un invité-surprise, en la personne du président ukrainien Volodymyr Zelensky, en visioconférence depuis Kiev. Le 7ème art lui a également envoyé un message d »amour ou du moins de soutien en ces temps troublés.
Ancien acteur reconverti en leader politique et, malgré lui, en chef de guerre, Zelensky a appelé les cinéastes du monde entier à s’inspirer de Chaplin en 1940 pour prouver que le cinéma n’est pas muet face à l’émergence de nouveaux dictateurs qui menacent le monde libre et ont déjà commencé leur œuvre de destruction, à l’aide notamment de ces chars marqués d’un “Z”, symbole d’appartenance à l’armée russe.
Evidemment, l’intervention du président Ukrainien a divisé sur les réseaux sociaux, en réveillant notamment la fachosphère. Les partisans de Monsieur “Z”, polémiste reconverti dans la politique et nourrissant une certaine sympathie à l’égard de Vladimir Poutine, se sont montrés les plus virulents, fustigeant dans le même mouvement “le cabotin” Zelensky et les “bobos/gauchos” cannois, dénonçant une guerre mise en scène au service d’on ne sait quel complot international judéo-macroniste, à base de vaccin, de 5G et de pizza frelatée.
Au lieu de passer leur temps à cracher leur haine sur les réseaux sociaux et taper sur les manifestations culturelles, ces personnes feraient mieux d’aller au cinéma, justement, histoire de s’ouvrir un peu sur le monde, de découvrir d’autres cultures, d’autres horizons que la ligne plate de leur encéphalogramme. Ils seraient même surpris de passer un bon moment, même devant un film de la sélection cannoise.
Prenez le film d’ouverture de ce 75ème Festival de Cannes, Coupez! Voilà un film qui leur était tout à fait accessible, même au premier degré. Il s’agit non pas d’une oeuvre torturée et intello ou d’un brûlot politico-expérimental, mais d’une comédie savoureuse et un film de genre. Ce n’est pas si fréquent à Cannes, même si Thierry Frémaux veille à ce que tous les cinémas puissent avoir leur place sur la Croisette.
Là, le choc thermique a plutôt été pour les habitués du Palais des festivals, cinéphiles exigeants, biberonnés à Bergman, Antonioni ou Cassavetes, qui ont découvert, assez interloqués, ce qui ressemblait, de prime abord, à une infâme série Z, surjouée et truffée de gags gênants.
Aïe, quel contraste, encore! D’un côté, des femmes en robes de soirée et des hommes en smoking, de l’autre, des zombies en maquillage bleu schtroumpf/géant vert.
Mais petit à petit, le charme du film de Michel Hazanavicius a opéré, laissant percer, sous l’enrobage de la série Z fauchée, une belle déclaration d’amour au 7ème Art et à ceux qui le façonnent, pas toujours avec talent, mais avec coeur et détermination, en utilisant les moyens du bord [lire notre critique].
Finalement, ce film a constitué le liant de toute la soirée d’ouverture, en décrivant le travail d’artistes essayant vaille que vaille de continuer à créer, malgré les aléas, malgré le manque de moyens, malgré un contexte difficile. Comme l’Ukraine essaie, avec ses moyens limités, de résister à l’invasion russe.
Le film incite à la résilience, à la résistance, à la solidarité. Là encore des valeurs qui trouvent écho chez les combattants ukrainiens qui tentent de repousser l’ogre adverse.
Evidemment, le cinéma n’est pas la vraie vie. Mais il peut apporter juste un peu de divertissement, de rêve et d’espoir à ceux qui souffrent. Il peut aussi témoigner de ces souffrances, ouvrir les regards, éveiller les consciences.
Comme l’a bien résumé Virginie Efira : “Si le cinéma ne change pas le monde, il peut au moins lui montrer l’exemple”.
Nous attendons donc beaucoup d’exemples pour cette 75ème édition du Festival de Cannes.
Crédits photos :
Affiche 75 : © FDC / Philippe Savoir (www.filifox.com)
Affiche officielle Cannes 2022 : © Paramount Pictures Corporation – Jim Carrey, The Truman Show de Peter Weir / Graphisme © Hartland Villa