[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
De l’amitié de deux hommes, Pietro et Bruno, de leur rencontre, enfants, jusqu’à l’âge de la maturité.
Tout commence dans les années 1970. Les parents de Pietro louent pour les vacances d’été un chalet à la montagne, dans un petit village des Alpes italiennes, Grana. Cette famille turinoise, habituée à l’agitation de la ville et à son cadre industriel pollué est venue ici se ressourcer. Le petit garçon sympathise avec Bruno, le seul enfant de son âge habitant encore les environs. Ce dernier vit avec son oncle, éleveur de vaches laitières et producteur de fromage. Les deux garçons passent l’été à faire les quatre cents coups et leur complicité grandit encore l’année suivante, quand la famille revient passer au village ses quelques jours de congés. Les deux enfants partent régulièrement en randonnée avec le père de Pietro, qui est décidé à conquérir tous les sommets de la région et tous partagent des moments inoubliables.
Mais, avec l’adolescence, les liens se distendent. Bruno est souvent occupé à travailler avec son oncle, ou son père, quand ce dernier décide de refaire une apparition de temps à autres. Pietro, lui, se fâche avec son père. Il ne l’accompagne plus dans ses randonnées. D’ailleurs, il ne vient même plus passer ses congés à la montagne.
Mais quelques années plus tard, les deux amis d’enfance, devenus adulte, se retrouvent pour bâtir un chalet au coeur des montagnes, pierre par pierre. Un édifice qui va cimenter définitivement leur amitié.
Eté après été, ils se retrouvent pour faire le point sur leurs vies respectives, leurs amours, leurs projets professionnels, leurs ennuis. Bruno reste attaché à sa montagne, ses racines, les traditions de sa famille. Pietro, lui, cherche sa voie, baroudant de boulot en boulot, de ville en ville, de pays en pays. Ils ont des parcours différents, des modes de vie différents, et illustrent les choix qui s’offrent à un individu dans la philosophie népalaise : faire le tour des huit montagnes et des ou rester tranquillement sur le mont Sumeru, situé au centre du monde. Lequel des deux profite le mieux de l’existence?
Pourquoi le film nous emmène sur des sommets d’émotions ?
Même s’il s’agit ici de l’adaptation du roman éponyme de l’auteur italien Paolo Cognetti (1), on retrouve totalement l’univers et les thèmes chers à Felix Van Groeningen, qui a ici cosigné le film avec sa compagne et coscénariste Charlotte Vandermeersch.
Déjà, il y a les personnages principaux. On connaît l’attrait du cinéaste pour les marginaux, les personnages qui ont du mal à trouver leur place dans le monde. Certes, Bruno et Pietro ne sont pas aussi hauts en couleurs que la famille Strobbe (2), les musiciens menant la vie de bohème d’Alabama Monroe ou les clients du Belgica, mais ils vivent eux aussi, à leur façon, à l’écart de la société. Le premier est un homme des montagnes taiseux et assez solitaire, qui veut vivre en respectant ses traditions ancestrales, le second un homme qui cherche sa voie, un artiste en quête de sens, qui a peut-être trouvé au Népal, loin de tout, un endroit où s”épanouir.
On retrouve aussi les grandes thématiques qui parcourent l’oeuvre du cinéaste. Comme dans La Merditude des choses, il est question des liens familiaux, des relations entre père et fils, de l’importance de la transmission des valeurs fondamentales. Comme dans Alabama Monroe et Belgica, on y croise des couples en crise, des amitiés malmenées, des êtres confrontés aux aléas de l’existence, aux petits tracas du quotidien. Ces sujets universels, ces moments de vie qui sonnent juste et vrai, permettent aux auteurs de faire naître l’émotion chez le spectateur sans abuser d’effets mélodramatiques. Chacun pourra se reconnaître ou reconnaître un proche dans les personnages, les crises qu’ils traversent ou dans les rêves qui les portent. Chacun pourra retrouver un peu de son enfance dans ces images baignées de lumière estivale, dans ce récit d’amitié qui résiste à l’épreuve du temps, porté par les performances émouvantes de Luca Marinelli, primé en 2019 à la Mostra de Venise pour Martin Eden et d’Alessandro Borghi.
Evidemment, certains trouveront le film un peu trop long, d’autant qu’il ne s’y passe rien de vraiment spectaculaire à l’écran et que le scénario n’est porteur d’aucun sous-texte politique, ne défend aucune thèse. Mais à bien y réfléchir, 2h25 pour résumer plus de trente ans d’amitié, c’est finalement assez peu, surtout si l’on s’abandonne à la belle simplicité du récit et aux paysages de montagne qui servent de décor naturel à l’oeuvre.
(1) : “Les Huit montagnes” de Paolo Cognetti – coll. Le Cosmopolite – éd. Stock
(2) : protagonistes de La Merditude des choses
Palmomètre :
Comme évoqué plus haut, le film pourrait pâtir de son manque de fond si le jury décidait de primer un cinéma politique et engagé. A l’inverse, il a toutes ses chances si la simplicité et l’épure sont au contraire les éléments-clés du choix de Vincent Lindon et ses acolytes.
On ne mise pas trop sur la mise en scène, qui ne possède pas l’ampleur du film de Kirill Serebrennikov. En revanche, l’un des deux comédiens italiens, voire les deux, pour ne pas faire de jaloux et ne pas risquer de briser une relation amicale, pourrait bien repartir avec le Prix d’interprétation Masculine.
Contrepoints critiques :
”Tout est ici survolé, vaguement romanesque mais surtout très nombriliste, trop long (le film étire sur 2h30 une histoire qui tiendrait en 1h30) et frôle parfois le ridicule tant ce portrait égotique de mâle contemporain qui joue les cowboys a des allures de Brokeback mountain désespérément hétéro ou de Mange prie aime à la testostérone.”
(Renan Cros – Cinémateaser)
”This is a movie with air in its lungs and love in its heart (…) This is a movie with air in its lungs and love in its heart.”
( Peter Bradshaw – The Guardian)