[Compétition Officielle]
De quoi ça parle?
De l’élection du Grand Imam de la Mosquée al-Azhar, en Égypte, la fonction religieuse la plus importante du pays. Une élection qui ressemble ici beaucoup à celle d’un parrain mafieux, entre coups de pression et coups tordus, manipulations, trahisons et petits meurtres entre amis.
Adam (Tawfeek Barhom), fils de pêcheur dans un petit village, est invité à intégrer la prestigieuse université islamique al-Azhar, au Caire, qui forme les élites religieuses sunnites du pays. Il quitte avec émotion ses proches pour découvrir un univers totalement inédit, et soumis à quelques remous imprévus. Le jour de son arrivée, on apprend en effet que le Grand Imam vient de décéder. Ce sont les principaux dignitaires sunnites de l’université qui doivent désigner son successeur. Dans les coulisses, les prétendants essaient de se placer et comptent leurs soutiens en interne pour influer sur les votes. Mais l’élection n’intéresse pas que les religieux. Pour le gouvernement égyptien, l’enjeu est important. Le Grand Imam est une figure incontournable du paysage politique, apte à bloquer une réforme ou à mobiliser l’opinion contre des décisions qui ne lui conviennent pas. Le général Al Sakran (Mohammad Bakri), responsable de la sécurité de l’état, aimerait donc pouvoir faire élire un imam proche du pouvoir politique. Il a confié au Colonel Ibrahim (Fares Fares), un agent chevronné, la tâche de placer au sein de l’établissement un informateur capable de faire basculer l’élection en faveur de leur candidat, le moment voulu. Mais celui-ci, Zizo, est repéré et assassiné dans la cour de l’école.
Adam, médusé, est témoin du crime. Quelques jours plus tard, il est contacté par Ibrahim pour prendre la place de Zizo et infiltrer l’entourage du candidat favori. Son profil est idéal. Un jeune homme modeste, nouvel arrivant et non-affilié aux différentes factions qui s’opposent au sein de la mosquée. A priori peu soupçonnable d’être un pion au service du gouvernement.
Un peu malgré lui, ce jeune homme intègre se retrouve mêlé à cette lutte de pouvoir, qui met en lumière les travers de différents candidats, à la moralité plus douteuse que ce que laisserait présager leur rang dans la hiérarchie religieuse. Il se met aussi en danger, car en évoluant ainsi dans les arcanes du pouvoir politique et religieux, il devient un témoin gênant pour les uns ou les autres.
Pourquoi on vote plutôt pour ?
On avait découvert le talent de Tarik Saleh, cinéaste suédois d’origine égyptienne, avec Le Caire Confidentiel, un film noir qui, déjà, dénonçait les abus de pouvoir dans l’Egypte contemporaine : politiciens sans foi ni loi, notables immoraux, policiers corrompus.
Boy from Heaven creuse le même sillon, dénonçant les magouilles des différentes castes qui luttent pour le pouvoir en Egypte, loin des préoccupations du peuple. Ce nouveau long-métrage possède les mêmes qualités que le film précité : une intrigue bien ficelée, portée par des personnages intéressants, que ce soit le jeune étudiant, qui se révèle au fur et à mesure plus fin qu’il n’en a l’air, ou Ibrahim, flic blasé essayant de sauver le peu de convictions morales et d’éthique que son métier lui laisse. Il possède aussi les mêmes défauts. La narration est parfois un peu trop rapide, ne prenant pas le temps nécessaire pour bien expliciter le contexte et les enjeux, et l’intrigue est parfois un brin confuse. A l’inverse, elle traîne parfois un peu en longueur, ce qui occasionne quelques baisses de régime n’altérant heureusement pas le suspense.
Ce qui est particulièrement réussi, en revanche, c’est la façon avec laquelle le cinéaste dénonce les dérives du pouvoir en renvoyant dos à dos les différents clans qui s’affrontent pour le contrôle de l’Egypte depuis le Printemps Arabe : militaires autoritaires, Frères Musulmans, autorités religieuses défendant un Islam plus ou moins rigoriste. Il ne prend pas vraiment position pour les uns ou les autres, constatant juste les manipulations et les crimes que les différentes forces en présence commettent pour s’assurer la victoire.
De la même façon, il témoigne du vice de certains dignitaires religieux qui ne s’appliquent pas à eux-mêmes les beaux préceptes moraux qu’ils prônent auprès de leurs fidèles – on vous laisse découvrir les travers du grand favori à l’élection. Mais Saleh ne remet à aucun moment en cause la religion. A travers le portrait d’Adam, jeune homme pur et intègre, il rappelle que l’Islam est, comme la plupart des grandes religions, une source de paix et de sagesse, qui n’est dévoyée qu’entre les mains d’hommes avides de pouvoir et de contrôle. Et même s’il n’a évidemment pas pu tourner en Egypte, où il est persona non grata, Tarek Saleh réussit à nous faire découvrir les coulisses de cette prestigieuse université religieuse et ce que cela représente pour des hommes tels qu’Adam et leurs proches. Rien que pour cette visite, l’oeuvre mérite le déplacement.
Palmomètre :
Tarik Saleh nous semble encore un peu tendre pour pouvoir prétendre briguer un prix important au palmarès. On pense éventuellement au prix du scénario, si Vincent Lindon et son conseil des sages ont aimé ce récit manipulateur (ou si les tractations pour la Palme d’Or se transforment en un semblable jeu de pouvoir).
Sinon, Fares Fares, une fois de plus impeccable dans la peau de ce militaire ambigu, rompu aux techniques d’intimidation et aux coups tordus, mais mû par ses propres codes d’honneur, ou le jeune Tawfeek Barhom sont des postulants potentiels au prix d’interprétation masculin.
Contrepoints critiques :
”Au milieu des crocodiles, le récit initiatique d’Adam, pris dans l’engrenage des compromissions, se fait un peu trop bouffer pour convaincre complètement”
(Marius Chapuis – Libération)
”Boy from Heaven est rêche, son naturalisme laisse affleurer progressivement une parabole assez terrible sur les appétits d’une institution religieuse où le pouvoir dissout le spirituel. Une des propositions les plus complexes et intéressantes de Cannes 2022 jusqu’à présent.”
(Simon Riaux – @SimRiaux sur Twitter)
”Boy from heaven : un sujet en or traité avec une mollesse folle. Il y a plus de tension dans n’importe quelle scène du Bureau des Légendes que dans ces 2h de film qui semblent interminables.”
(Raphaël Clairefond – @RaphaelClair sur Twitter)