[CRITIQUE] : As Bestas

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Rodrigo Sorogoyen
Acteurs : Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Thriller, Drame.
Nationalité : Espagnol, Français.
Durée : 2h17min.
Synopsis :
Le film est présenté dans la section Cannes Première de Cannes 2022.
Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils pratiquent une agriculture écoresponsable et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique sans leur opposition à un projet d’éolienne qui crée un grave conflit avec leurs voisins. La tension va monter jusqu’à l’irréparable.


Critique :

Inconfortable tout autant qu'il est passionnant, #AsBestas prend les tripes de son auditoire pour ne plus jamais les lâcher, embrasse avec fougue les contours du néo-western sauvage et singulier pour mieux incarner une fable intense sur la peur de l'altérité et la xénophobie. pic.twitter.com/chzh6Tg26I

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 28, 2022

Le néo-ruralisme a toujours été - faussement - associé à un sentiment idéalisé d'une porte vers le bonheur et une vie simple, l'idée poétique mais loin d'être réaliste que la vie à la campagne convoque instinctivement un quotidien plus apaisé et équilibré, une sorte de monde parallèle idyllique totalement opposé à la vie urbaine plus tourmentée et stressante.
Pour son nouvel effort, As Bestas, Rodrigo Sorogoyen démonte savamment cette impression en opposant avec férocité les deux vérités de ce monde rural.
D'un côté, il y a ceux qui ont toujours été là - comme les frères Anta -, des éleveurs de pères en fils qui sont nés aux côtés de leurs bestiaux, qui vivent dans leur propre petit monde fermé et effrayé par l'altérité, une prison à ciel ouvert rongé par leur propre misère morale et humaine, qui espèrent un jour rejoindre la ville pour avoir une vie meilleure.
De l'autre, les néo-ruraux, ceux qui croient en l'utopie que les seuls vestiges qui restent dans ce monde résident à la campagne, quittant le carcan de leur quotidien urbain pour épouser leur désir d'une nouvelle vie, en voulant révolutionner des terres qui ne cherchent pas fondamentalement toutes à l'être.

Copyright Lucia Faraig


Le premier monde traditionnel hait le second gentrifieur car il vient empiéter sur " son " monde, tandis que le second espère naïvement une alliance et une acceptation impossibles face à leur entreprise honorable : réhabiliter les maisons abandonnées de la commune afin que les nouvelles générations puissent y habiter.
Le premier monde, c'est les frères Anta (dont un incroyable Luis Zahera), élevés et abandonnés au sort d'une ville mourante de la Galice tandis que le second est celui d'Antoine (formidable Dénis Menochet) et de sa femme Olga (immense Marina Fois, comme souvent), victimes d'une campagne de harcèlement qui rend toute survie digne presque impossible, à la suite d'une affaire d'eolienne et de vote positif ou négatif, qui aurait amené les premiers à quitter enfin leur village.
L'un joue avec la terreur de faire savoir à l'autre que le mal peut s'introduire chez soi, sans permission ni hésitation, contaminant tout rêve et projet mais surtout toute idée de quiétude - faussement - vendue par le néo-ruralisme et ce cadre majestueux.
L'un fait peur, l'autre résiste...
Loin de la chronique sociologique et encore plus de l'exploration sombre de la vie au coeur de la campagne et d'une douloureuse guerre des voisins, As Bestas embrasse avec fougue les contours du néo-western sauvage et singulier bourré jusqu'à la gueule d'une violence verbale et physique viscérale, ramenant dans les montagnes pyrénéennes la puissance virile du cinéma de Sam Peckinpah avant de totalement jouer avec les attentes de son auditoire avec une seconde partie résolument plus poignante, sans pour autant baisser d'un iota sa bouillante tension.

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Si dans sa première moitié, Sorogoyen laisse exploser les contours brutaux de l'intolérance et de la xénophobie dans un affrontement terriblement viril des hommes et de leurs corps, l'affrontement se dilue par la suite de manière plus subtile vissé sur le regard plus distancé et adulte d'une mère éplorée à la douleur sourde.
Le portrait de sa résilience - mais aussi celle de sa fille - est le coeur émotionnelle du film, cette mise en images virtuose (une ouverture magistrale, ses plans-séquences...) et immersive d'une souffrance au second plan, cette seconde face d'une seule et même pièce donnant encore plus de résonance aux duels qui animent les hommes, une tonalité féministe salutaire qui démontre que les femmes ont été et sont toujours les victimes collatérales de la bêtise et de la violence de l'homme.
Inconfortable tout autant qu'il est passionnant, As Bestas prend les tripes de son auditoire pour ne plus jamais les lâcher et incarne une fable intense et rare autant sur les dérives abjectes d'une société espagnole tiraillée socialement et économiquement, que sur la peur de l'altérité et la xénophobie à une heure où l'humanité se déchire de plus en plus.
Une sacrée expérience qui avait totalement sa place en compét officielle.
Jonathan Chevrier