[CRITIQUE] : Leila et ses Frères

Par Fuckcinephiles

Copyright Amirhossein Shojaei

Réalisateur : Saeed Roustaee
Acteurs : Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Payman Maadi,...
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Iranien.
Durée : 2h45min.
Synopsis :
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2022.
Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier. Au même moment et à la surprise de tous, leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, la plus haute distinction de la tradition persane. Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entrainent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.

Critique :

En faisant de chacun de ses persos les pièces complexes d'un échiquier grandiose, Roustaee ausculte la réalité socioculturelle et l'héritage patriarcal d'une Iran à l'agonie à travers les yeux d'une famille brisée, et fait de #LeilaEtSesFrères une puissante tragédie familiale. pic.twitter.com/6c7mpqqL42

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 29, 2022

Qu'on se le dise, il y a une sorte de je-ne-sais-quoi de profondément grisant au sein du cinéma de genre iranien, ce petit quelque chose d'électrique émergeant autant d'un contexte national particulier, que de la manière qu'on ces cinéastes à savamment transcender les éléments familiers de genre spécifiques, accouchant de séances certes pas toujours originales, mais dans le même temps incroyablement passionnante et rafraîchissante.
Fer de lance de ce cinéma de plus en plus prolifique (où, tout du moins, de plus en plus présent dans nos salles obscures) après seulement deux fantastiques efforts - Life and a Day et La Loi de Téhéran -, Saeed Roustaee enfonce le clou avec un troisième long-métrage tout aussi grandiose, Leila et ses Frères, où il confronte la réalité socioculturelle et l'héritage patriarcal de l'Iran à travers les yeux d'une famille dysfonctionnelle et brisée.

Copyright Amirhossein Shojaei


Cette famille, c'est celle d'Esmaeel, patriarche délaissé par son propre clan aux revenus plus aisés, gêné de ne pas pourvoir lui aussi se vanter d'être opulent, tellement qu'il ne se rend pas (où ne veut pas surtout) compte que sa fille de quarante ans, Leila, est la seule à travailler dans la maison et doit nourrir ses quatre frères parasites qui survivent au chômage.
Mais dans une société patriarcale les intérêts du patriarche sont au-dessus de ceux des autres membres de la famille et les femmes de la maison doivent se taire, consentir et assumer les caprices du père, qui se rêve en parrain de son clan, dilapidant sa richesse personnelle - de nombreuses pièces d'or - pour arriver à ses fins, là où sa fille désirait en profiter pour sortir sa famille de leur apathie, et de racheter avec ses frères une boutique dans le centre commercial voisin...
Fascinante et imposante fresque familiale prenant les contours d'une fable morale sur les répercussions que peut avoir la survie du patriarcat dans une société qui veut se moderniser, mais qui se retrouve socialement corsetée par la réalité imposée par de vieux rituels ancestraux qui prévalent sur toute solution pragmatique; Leila et ses frères ne se fait pas tant une dénonciation de la politique du régime actuelle, qu'une auscultation de son impact terrible sur une figure paternelle défaillante, et de son statut de tyran auprès des siens.

Copyright Amirhossein Shojaei


C'est justement au travers du chaos qu'il impose (cette quête de réussite dont il rêve alors qu'il est, par ses - mauvaises - décisions, le fer de lance de son échec) et du conflit intergénérationnel qui abîme les liens avec la chair de sa chair, que Roustayi sonde le chaos et l'incertitude de la récession économique terrible qui a frappé le pays, une économie nouvelle où tout est dévalué et où les plus démunis sont catapultés de force les abysses d'une misère sociale dont ils ne peuvent s'extirper.
Un effondrement de l'intérieur des valeurs d'un pays qui n'incarne pas pour autant le terreau fertile d'un changement pour une figure féminine impuissante et toujours autant réduite au silence.
En privilégiant les longs affrontements verbeux à la tension qui faisait le sel de son précédent effort, tout en s'échinant à faire de chacun de ses personnages les pièces solides et complexes d'un échiquier grandiose (chacun à sa propre histoire au coeur de la grande), le cinéaste fait de Leila et ses Frères une immense tragédie familiale dans une société iranienne à l'agonie, pas si éloigné finalement du cinéma d'Asghar Farhadi.
Jonathan Chevrier