[CRITIQUE] : Decision To Leave

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Park Chan-wook

Acteurs : Tang Wei, Park Hae-il, Go Kyung-pyo,...
Distributeur : Bac Films
Budget : -
Genre : Romance, Thriller, Drame, Policier.
Nationalité : Sud-coréen.
Durée : 2h18min.
Synopsis :
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2022.
Hae-Joon, détective chevronné, enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Bientôt, il commence à soupçonner Sore, la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle.


Critique :

Expérience savamment brumeuse et pensée pour être difficile à appréhender et inciter l'idée que l'on s'y perde encore et encore, avec #DecisionToLeave, Park Chan-wook épouse une sorte de mouvement Brownien mué par un désir non pas de surprendre mais bien plus de donner le vertige pic.twitter.com/5fJS2hBe89

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 30, 2022

Sous l'apparent moule furieusement familier d'un polar vissé sur l'enquête de la mort mystérieuse et suspecte d'un homme (suicide ? meurtre ?), il était évident que le nouveau long-métrage de l'orfèvre Park Chan-wook n'allait pas totalement voguer vers le chemin balisé et canonique du néo-noir vénéneux et charnel, mais force est d'admettre tout de même qu'on n'attendait pas autant de le voir s'amuser des codes de celui-ci pour embrasser plus volontier les courbes d'un mélodrame tortueux et tragique, sondant les méandres - chastes - d'une romance aussi malsaine que déchirante.
Car aussi improbable que cela puisse paraître sur le papier, Decision To Leave est définitivement l'oeuvre la plus romantique du cinéaste, narrant la relation déroutante, insaisissable et dérangeante entre deux âmes tissée au gré d'une narration fuyante, qui se décompose et se réarticule presque à chaque nouvelle séquence (à coups de flashbacks, ellipses,...), mais qui joue aussi avec ses formidables dialogues autant qu'avec l'ambiguïté des frontières entre onirisime, vérité et mensonge.

© 2022 CJ ENM Co., Ltd., MOHO FILM. ALL RIGHTS RESERVED


Elle c'est Sore (Tang Wei, superbe constamment sur le fil ténu du contrôle et de la vulnérabilité), une veuve pas vraiment éplorée dont le mari vient de mourir, et qui a une attitude tellement détachée qu'elle pourrait être l'incarnation parfaite de la veuve noire.
Lui c'est Hae-Joon (Park Hae-il, impressionnant), un détective très méthodique, qui a fait de son métier un mode de vie qui le hante, une mer d'obsessions qui se somatise en insomnie.
Il est irrésistiblement attiré par elle et son enquête va irrémédiablement en pâtir, au moins autant que sa raison toujours tiraillée par sa quête de sens...
Déterminer à ne jamais construire un récit linéaire, le cinéaste crée une sorte de vertige ambiguë où le son et les images surplombent la narration et ses (nombreux) rebondissements autant qu'ils s'entremêlent comme pour mieux tromper un auditoire à qui il intime d'être attentif, au risque d'être perdu dès le premier virage.
Le jeu du chat et de la souris pervers entre ses deux personnages, il le transpose finalement à travers l'écran entre lui-même et son spectateur, architecte d'exception qui, dans un récital à la maestria désolante, nous emmène exactement là où il le désire, même s'il se perd parfois en cours de route - avec quelques longueurs disgracieuses.
Comme s'il s'agissait d'un roman graphique, chaque image est soigneusement préparée et exécutée en tenant compte de celle qui va suivre, avec un contrôle qui friserait presque le trouble obsessionnel-compulsif (travellings mitraillettes, plans panoramiques calculés au millimètre,...).

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Hommage vibrant à Hitchcock (Vertigo) et Huston (Le Faucon Maltais), Decision To Leave se fait une expérience merveilleusement brumeuse et rugueuse, savamment pensée pour être difficile à appréhender et inciter l'idée que l'on s'y perde encore et encore, comme les songes cauchemardesques de David Lynch - avec ici une pointe d'humour salvatrice.
En ce sens, et plus que jamais auparavant (même avec Mademoiselle et sa structure férocement sophistiquée), Park Chan-wook épouse une sorte de mouvement Brownien cinématographique, mué par un désir non pas de surprendre, mais plutôt d'étourdir, de déconcerter où même de donner le vertige.
Un met d'exception mais, clairement, pas pour tous les palais.
Jonathan Chevrier