De quoi ça parle ?
D’un envoûtant jeu du chat et de la souris mettant aux prises Hae-joon (Park Hae-il), un inspecteur de police coréen maniaque du détail, et Sore (Tang Wei), une immigrée chinoise qui a tout de la femme fatale.
Ce brillant enquêteur se demande si elle n’aurait pas joué un rôle dans le décès de son mari, tragiquement tombé du haut de la montagne où il était parti en randonnée. Il s’avère que la victime était habituée aux longues promenades en montagne et la thèse de la glissade accidentelle semble donc assez peu probable. Alors a-t-il fait un malaise qui expliquerait cette chute? Est-ce un suicide ? Un meurtre ?
Quand Hae-joon interroge Sore, il trouve qu’elle ne manifeste que peu d’émotion pour quelqu’un qui vient de perdre son conjoint. Il décide de la mettre sous surveillance rapprochée et passe plusieurs nuits à planquer devant chez elle, pour essayer de comprendre qui elle est vraiment. Est-ce juste par conscience professionnelle ou bien la jeune femme l’obsède-t-elle pour d’autres raisons? De son côté, Sore ne semble pas insensible à l’intérêt que lui porte le détective. Mais est-elle tombée sous son charme ou essaie-t-elle de le manipuler ?
Pourquoi on décide de ne pas partir ?
Déjà parce que le film nous tient en haleine jusqu’au bout, grâce à son intrigue à tiroirs et à ellipses, pleine de rebondissements. Mais aussi pour savoir où la relation entre ces deux personnages va les conduire. Le suspense romantique, ici, est aussi, sinon plus important que la résolution des crimes. Park Chan-wook se concentre autant sur l’affaire que sur “the Affair”, la liaison qui se noue entre ses personnages. Une relation tout à fait platonique, malgré une attirance réciproque qui semble évidente. Le policier n’ose pas franchir le pas, par fidélité à son épouse (Lee Jung-hyun), qui passe pourtant son temps à analyser les statistiques pour tester si leur couple est dans la norme, ou parce que son instinct professionnel l’incite à rester prudent. La jeune femme n’ose pas se lancer, si tôt, dans une nouvelle histoire d’amour. Pourtant, tout, dans la mise en scène, laisse supposer que Hae-joon et Sore se désirent passionnément et pourraient tout plaquer pour vivre leur passion. Ils ont établi une sorte de complicité naturelle comme les protagonistes de Brève rencontre ou ceux de In the mood for love. Ou plutôt comme un vieux couple amoureux, qui se comprend sans se parler.
L’intrigue criminelle n’est pas secondaire pour autant. Elle vient constamment parasiter leur relation sentimentale, la remettre en question. S’ils n’étaient pas enquêteur et suspecte, s’aimeraient-ils autant? S’aimeraient-ils plus? Hae-joon serait-il ainsi obsédé par elle? Aurait-elle eu la chance de le rencontrer?
Decision to leave est tout entier construit autour de cette confrontation, cette dualité. Deux trames différentes, la romance et le thriller, deux endroits différents pour servir de terrain de jeu aux personnages, la montagne et le bord de mer, deux protagonistes qui s’attirent et se fuient constamment… Tout tourne autour de l’idée du double, y compris la mise en scène de Park Chan-wook, qui joue habilement sur les reflets et les superpositions d’images. Le “double” était l’un des thèmes de prédilection d’Alfred Hitchcock. Il était au coeur, par exemple, de Sueurs froides, qui reposait aussi sur une une intrigue tortueuse, avec ses deux parties aux rebondissements surprenants et sur l’obsession de James Stewart envers Kim Novak, entre désir amoureux et quête de vérité. On trouvera beaucoup de points communs entre ce chef d’oeuvre et Decision to leave, et ce n’est pas vraiment une surprise tant Park Chan-wook admire l’oeuvre du “Maître du suspense”. Il lui avait déjà rendu un hommage appuyé dans Stoker. C’est encore le cas ici, avec ce thriller manipulateur où le spectateur, comme le policier, doit constamment se méfier des apparences.
Cela dit, il serait réducteur de ne voir dans ce long-métrage qu’un simple exercice de style hitchcockien. Decision to leave est bien un film qui porte la griffe de du cinéaste coréen Park Chan-wook, reprenant ses thématiques favorites, établissant des ponts formels et structurels avec ses oeuvres passées.
L’obsession du personnage principal rappelle un peu celle de ses personnages de la “Trilogie de la vengeance” (Sympathy for Mister Vengeance, Old boy et Lady Vengeance), certes en moins violente et moins sanglante, et son final, assez cruel, fait écho aux dénouements de ces trois films ou à celui de Mademoiselle. D’ailleurs, ce dernier reposait aussi sur une construction en trois parties qui permettaient au spectateur de changer de point de vue et de remettre en question sa compréhension du récit. Et son JSA était également une construction narrative complexe, reposant sur des flashbacks pour modifier notre perception de l’intrigue. Enfin, on se rappellera que Park Chan-wook a tourné un court-métrage appelé Nightfishing, primé à la Berlinale, l’un des premiers entièrement réalisé avec un iphone. Rien d’étonnant, donc, à ce que le smartphone soit ici un élément crucial de l’intrigue, servant de preuve, d’indice, de révélateur. Il contribue aux circonvolutions du récit, délicieusement labyrinthique.
Park Chan-wook, avec ce film brillant, revisite une bonne partie de sa filmographie, rend hommage à ses maîtres et peut-être un peu à sa propre épouse, qu’il a rencontré lors d’une projection de… Sueurs froides – celle-là même qui l’a incité à devenir cinéaste. Il prouve qu’il est aussi, à 58 ans, un cinéaste ultra-moderne, expérimentant encore et toujours, pour le plus grand bonheur des cinéphiles.
Palmomètre :
Comme le jury avait annoncé vouloir un palmarès “politique”, ce film n’avait pas les faveurs des pronostics pour la Palme d’Or. Mais un prix pour son scénario, brillantissime, ou sa mise en scène audacieuse était plus que probable. Le jury a choisi la seconde option pour mettre le film au palmarès. C’est amplement mérité.
Contrepoints critiques :
”l y a une beauté de la mise en scène, mais qui finit par étouffer constamment le propos. Il ne peut pas supporter qu’il n’y ait pas un plan sans une idée, sans une trouvaille, sans quelque chose d’inventif et de surprenant. Et du coup, il égare sa structure narrative.”
(Xavier Leherpeur – Le Masque et la plume/France Inter)
”Park Chan-wook épouse une sorte de mouvement Brownien cinématographique, mué par un désir non pas de surprendre, mais plutôt d’étourdir, de déconcerter où même de donner le vertige.
Un met d’exception mais, clairement, pas pour tous les palais.”
(Jonathan Chevrier – Fucking cinephiles)
”Decision to leave est indéniablement brillamment réalisé, avec une sorte de maestria qui force le respect, mais c’est au service d’un récit qui manque de surprise et de puissance émotionnelle. Un peu trop scolaire, et forcément un chouia déçu après la déflagration Mademoiselle.”
(@Piwi_47 sur Twitter)
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