[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ? :
De la jeunesse de Valeria Bruni-Tedeschi, à travers son alter-ego de fiction, Stella (épatante Nadia Tereszkiewicz) , qui réussit son concours d’entrée au centre d’art dramatique national, au début des années 1980.
Avec une douzaine d’heureux élus, elle intègre l’école, située au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, qui vient d’être reprise par Patrice Chéreau.
Le metteur en scène souhaite, entre autres, monter une adaptation de “Platonov” de Tchekhov et expérimenter d’autres approches avec ses comédiens, plus orientées vers les méthodes de l’Actor’s studio.
Stella découvre le métier, l’amitié, notamment avec Adèle (Clara Brétheau), double fictionnel d’Eva Ionesco, et les affres de l’amour auprès d’Etienne (Sofiane Bennacer), jeune homme torturé. On se gardera bien de lui associer un acteur réel, mais ses traits évoquent aussi bien ceux de Vincent Pérez et Thibaut de Montalembert, qui furent ses camarades de classe à l’époque.
Pourquoi j’aime ? :
Contrairement à mon habitude, j’utilise ici le pronom « je » puisque le film ravive mes propres souvenirs de jeunesse.
J’ai vécu une partie de mon enfance à Nanterre et ai eu l’opportunité de visiter, avec ma classe, le théâtre des Amandiers au moment où Chéreau l’a repris. Nous avions assisté aux répétitions et aux ateliers théâtraux de cette troupe de jeunes comédiens. L’atmosphère était tout à fait similaire à celle du film, exhalant la complicité d’un groupe très uni, un fort esprit de communauté artistique, mais aussi une ambiance studieuse, sous la direction d’un metteur en scène exigeant, précis, tentant de parvenir à une quasi perfection.
Mais pas besoin d’avoir grandi dans les années 1980 ou vécu en banlieue parisienne pour apprécier le film. Chaque spectateur pourra aussi retrouver un peu de sa propre existence dans ce film joliment nostalgique, qui montre la jeunesse dans toute son insouciance et sa vitalité. Comme toutes les personnes de vingt ans, Stella découvre la vie d’adulte, teste son pouvoir de séduction, cultive ses amitiés. Elle connaît aussi ses premières déceptions, ses premières blessures psychologiques. Des choses assez universelles pour toucher les spectateurs, même si le film, comme tous les longs-métrages de Valeria Bruni-Tedeschi, est très personnel.
La cinéaste sait comment construire des scénarii de fiction ) partir d’éléments de sa propre vie et de sa carrière d’actrice ou de metteuse en scène. C’est encore le cas ici, évidemment, et Stella est un personnage dans la lignée de Federica (Il est plus facile pour un chameau), Marcelline (Actrices), Louise (Un château en Italie) et Anna (Les Estivants), une artiste un peu fofolle et passionnée. Les Amandiers permet à Valeria Bruni-Tedeschi de clamer haut et fort son amour pour la création artistique et le métier d’acteur. Il lui offre aussi l’opportunité de rendre hommage à ceux qui lui on transmis ce virus du jeu, ce goût du théâtre : Pierre Romans (incarné ici par Micha Lescot) et Patrice Chéreau (Louis Garrel), sous la direction desquels l’actrice a joué six pièces différentes sur scène. Mais la cinéaste ne signe pas pour autant une hagiographie. Elle montre aussi leurs côtés sombres, entre comportement tyrannique et mauvais penchants. Ils ont aussi marqué son parcours professionnel, comme ils marquent l’innocente Stella.
Le théâtre des Amandiers est aussi emblématique d’une époque. Né au lendemain des évènements de mai 1968, il a baigné dans une époque propice à la libéralisation des moeurs et aux expériences de vie communautaires. Quand Patrice Chéreau et Catherine Tasca le prennent en main, en 1982, la gauche vient de prendre le pouvoir et met en place une ambitieuse politique culturelle. Mais assez rapidement, les utopies marxistes vont se heurter au pragmatisme de l’exercice du pouvoir. Le film de Valeria Bruni-Tedeschi n’est absolument pas centré sur cet aspect politique, mais il se déroule dans ce contexte un brin amer. Il est empreint du climat morose qui marque la fin de la “parenthèse enchantée” des années 1970. L’apparition du SIDA sonne aussi le glas de l’amour libre et a aussi un impact sur les membres de la troupe. L’insouciance cède peu à peu la place à une certaine gravité, et rien ne pourra plus tout à fait être comme avant.
Néanmoins, les véritables membres de la troupe, ceux qui ont vécu ensemble cette initiation au métier de comédien, ont noué des liens forts et on tous, à des degrés divers, effectué d’impressionnantes carrières : Valeria Bruni-Tedeschi, Agnès Jaoui, Eva Ionesco, Marianne Denicourt, Laura Benson, Vincent Pérez, Thibaut de Montalembert, Laurent Grévill, Marc Citti…
On peut souhaiter aux jeunes comédiens de ce film la même carrière.
Palmomètre :
Malgré ses qualités artistiques et son côté attachant, on ne voyait pas le film au palmarès, à cause d’une concurrence de très haut niveau. Il ne l’est pas. Néanmoins, il avait tout à fait sa place en compétition officielle, car Valeria Bruni-Tedeschi, que l’on apprécie ou non son travail, possède une réelle patte artistique et développe, de film en film, une oeuvre tout à fait cohérente et respectable.
Contrepoints critiques :
”Le film de Valeria Bruni-Tedeschi est un film à l’image de sa réalisatrice : un grand barnum excessif et chic, généreux et parfois un poil irritant.”
(Julien Lada – Cinématraque)
”La réalisatrice filme ces quelques années d’éblouissement avec une fluidité et une grâce qui nous scotchent à notre fauteuil. D’emblée le film annonce qu’il s’agit d’un monde perdu, comme un pays lointain et inaccessible que seule la magie du cinéma permet de saisir à nouveau.”
(Emily Barnett – Marie Claire)
”The performers Bruni Tedeschi has assembled are an arresting bunch, who inject their broadly sketched characters with an impressive amount of life. Even minor figures get serious treatment, as if these performances are speaking directly to Chéreau’s philosophy.”
(Lovia Gyarkye – The Hollywood reporter)
Crédits photos : Copyright 2022 – Ad Vitam Production – Agat Films et Cie – Bibi Film TV – Arte France Cinéma – images fournies par le Festival de Cannes