Réalisateur : Ted Fendt
Avec : Daniela Zahlner, Mia Sellmann, Natascha Manthe, …
Distributeur : Shellac
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Allemand
Durée : 1h01min
Synopsis :
Daniela ne sait pas quoi faire. Elle est devenue insomniaque. Mia termine un master qu'elle a commencé spontanément. Leurs rencontres à Berlin et à Vienne pendant plusieurs mois. En compagnie de Natascha, une autre amie qui envisage de s'installer à Vienne, elles se promènent et discutent.
Critique :
#LeBruitDuDehors se construit dans un équilibre fragile entre la signification et le vide, entre le cocon intérieur et l’anonymat extérieur, qui produit son effet pour peu qu’on ne se laisse pas happer par la torpeur qui s’en dégage. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/kUWlvBj2kQ
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 21, 2022
Cinéaste de l’errance, Ted Fendt construit une filmographie évaporée où il suit la jeunesse américaine au gré de leurs pérégrinations. Dans son troisième long-métrage (petit film de une heure et une minute), le cinéaste installe son cadre en Europe cette fois, entre Berlin et Vienne.
Autodidacte, indépendant, Ted Fendt se positionne très loin de la machine à films américaine. Il produit ses propres films, fait jouer des acteurs et actrices non-professionel⋅les et met un coup de projecteur à l’invisible, à l’attente et aux petits riens. Dans Le bruit du dehors, il suit Daniela et Mia (qui ont même participé à l’écriture du scénario) dans leur voyage intérieur, somnolentes et alanguies par la chaleur de l’été.
Copyright Shellac Distribution
Le bruit du dehors se déroule simplement avec un rythme redondant ; les séquences en intérieur sont toujours suivies d’une séquence à l’extérieur, comme si la ville les appelait sans cesse. Les villes devrait-on dire car le film montre Berlin et Vienne, sans pour autant les distinguer. Un New-York pluvieux fait même son apparition dans les premières secondes, sans que la ville soit caractérisée plus que les autres. Le dehors est abstrait et n’a pas de frontière, il est le prolongement des personnages et leur offre ses paysages comme moyen de contrer la langueur des insomnies. Daniela et Mia ne considèrent pas ces villes comme un endroit à visiter mais plutôt comme un endroit où l’on demeure à un instant T. À deux moment, l’une comme l’autre refusent d’être prises en photo aux côtés d’un monument, action jugée trop “touriste”. Au contraire, elles recherchent une familiarité dans ces villes, même si elles y viennent pour visiter. Daniela raconte qu’elle mangeait dans le même restaurant indien à New-York, jusqu’à qu’elle y soit reconnue, qu’elle connaisse le nom des propriétaires et qu’elle possède une identité dans ce coin précis de la ville.
On a l’impression que les personnages sont figés, le temps d’un film, dans une transition. Que ce soit la rupture avec un ex, une recherche de boulot ou la fin d’une écriture de thèse, les femmes dans le cadre sont en suspens et attendent la fin de cette phase pour se remettre à vivre. La mise en scène privilégie alors les moments de calme, ce qui, dans l’imaginaire collectif, appartient à du self-care : lecture, thé, promenade, pique-nique, procrastination. L’atmosphère se fait méditative, renforcée par les insomnies dont souffrent Daniela et Mia. Le bruit du dehors est impitoyablement diurne pourtant, comme si le film leur refusait la nuit et le repos tant qu’elles continueront à se complaire dans cette phase de transition. Le travail de l’ethnologue Arnold van Gennep, que cite Mia quand elle raconte ses recherches de thèse à son amie, semble résumer parfaitement l’état végétatif des deux héroïnes. La phase liminale dans laquelle les deux femmes semblent plongées n’est qu’une partie des rites de passages théorisés par l’ethnologue français et appelle à la réintégration une fois cet état terminé, offrant ainsi une issue à leur indolence.
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À contrario d’une Sofia Coppola qui se sert de l’ennui comme un moyen de raconter une histoire, Ted Fendt s’attache plutôt à analyser cet ennui dans son cadre et à l’infuser délicatement dans sa mise en scène. Le bruit du dehors ne se délecte pas de la langueur de ses protagonistes, il en recherche l’essence sans brusquer le cheminement des personnages. Le film se construit dans un équilibre fragile entre la signification et le vide, entre le cocon intérieur et l’anonymat extérieur, qui produit son effet pour peu qu’on ne se laisse pas happer par la torpeur qui s’en dégage.
Laura Enjolvy