[CRITIQUE] : La Romancière

[CRITIQUE] : La Romancière

Réalisateur : Hong Sang-Soo
Acteurs :  Hye-yeong Lee, Kim Min-Hee, Young-hwa Seo,...
Distributeur : Arizona Distribution
Budget : -
Genre : Comédie Dramatique.
Nationalité : Sud-coréen.
Durée : 1h32min
Synopsis :
Banlieue de Séoul. Junhee, romancière de renom, rend visite à une amie libraire perdue de vue. En déambulant dans le quartier, elle croise la route d’un réalisateur et de son épouse. Une rencontre en amenant une autre, Junhee fait la connaissance de Kilsoo, une jeune actrice à qui elle propose de faire un film ensemble.

Critique :

Avec #LaRomancière, Hong Sang-soo croque une pépite de comédie dramatique à la double lecture délicieuse tant il est à la fois un passionnant récit de découverte de soi/quête identitaire et littéraire, qu'un matraquage en règle de l'hypocrisie qui gangrène l'industrie artistique. pic.twitter.com/1q96yFWlfM

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 26, 2022

Plus prolifique encore qu'un Fassbinder bouffé par l'envie de faire du cinéma, dégainant au minimum un film par an avec une frénésie savoureusement enthousiasmante, le démiurge génial qu'est Hong Sang-soo aura déjà mis en boîte au moins une nouvelle péloche avant que l'on ne puisse découvrir son Juste sous vos yeux en septembre prochain, voire même une autre avant que La Romancière n'atteigne les salles en février, et on ne va clairement pas s'en plaindre.
Héritier plus où moins direct de Rohmer et de ses chroniques douces-amères sur des relations interpersonnelles captées dans un cocktail de panache et d'intelligence, avec La Romancière, il nous revient avec un énième formidable jeu d'entrelacs et de rencontres plus où moins fortuites qui se déploie en trois tableaux tranchants et bien distincts, qui se font l'expression d'une nouvelle méta-réflexion sur son cinéma, cette fois à la croisée de la littérature et dont la frontière entre l'art et la vie est toujours aussi floue.

[CRITIQUE] : La Romancière

Copyright Jeonwonsa Film Co. Production


Instinctivement inscrit dans les mêmes préceptes de ses précédents films (une cohérence folle entre la forme - les mécanismes esthétiques et un jeu d'acteur au cordeau - et le fond - un désir métanarratif toujours aussi prégnant), minimalistes (plans fixes, décors sobres, éclairage naturel et un noir et blanc saturé qui homogénéise le tout) et savoureusement volubiles (avec une toute importance toute particulière allouée aux dialogues et aux silences de ses personnages), qui embaumait ses oeuvres d'un sentiment déjà très littéraire, le cinéaste enfonce le clou ici puisque La Romancière fait pleinement - évidemment vu le titre - de la littérature le coeur de son récit et même de son écriture, portée par une structure épisode où chaque séquence à sa propre unité thématique, à travers laquelle on forme progressivement une carte conceptuelle de l'âme de sa protagoniste, Junhee.
La première partie, la suit dans une librairie à la périphérie de Séoul (dans un quotidien contemporain qui a totalement assimilé le contexte pandémique) où elle n'a pas atterri par hasard, celle de Sewon, une amie de longue date, qui, il y a de nombreuses années, avait partagé avec elle l'amour de l'écriture pendant sa jeunesse enragée, une époque où tout leur semblait encore possible.
Les paroles échangées entre les deux femmes, qui véhiculent une affection sincère et un calme aussi nostalgique que sororale, montrent à quel point le temps a remis chacune à sa place.

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Si Sewon avoue volontiers qu'un manque de discipline l'a rendu progressivement moins intéressé par l'écriture (couplé à un sentiment d'ennui croissant dans son quotidien en ville, qui l'a motivé à s'en éloigner pour être heureuse), tandis que si Junhee a persévéré dans cette voie pour devenir une romancière de renom, elle est désormais engoncée dans une sorte de blocage/manque d'envie créative que sa rencontre avec elle va cependant revigoré grâce à un petit détail symbolique : une simple phrase en langue des signes - presque comme un haïku -, relevant la beauté de la vie quotidienne, dite par l'assistant de Sewon.
La deuxième rencontre se fait elle plus frontale mais aussi plus fortuite, puisqu'elle se déroule au coeur de Séoul, au moment où Junhee tombe sur le réalisateur Hyojin - qui semble ne pas vouloir la croiser - et sa femme (Cho Yunhee), le trio décidant de prendre un café et de parler de leur présent mais aussi du passé, évoquant les querelles professionnelles pas tout à fait oubliées qui les lient : Hyojin (qui ne parle que de son succès, n'instrumentalise l'acte artistique que sur des facteurs lucratifs) est incapable d'affirmer verbalement que l'unique raison derrière laquelle il a fait en sorte de ne pas adapter, il y a des années, l'un des romans de Junhee, n'était rien de plus que la petite projection économique que le film aurait pu avoir.

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C'est dans un parc que se situe le troisième acte (avant de se clore, comme une boucle philosophique, dans la librairie), sans doute la plus passionnante et pleine de sens des rencontres (dont il est inutile de discuter la vraisemblance) de Junhee, celle qui l'a fait se promener avec la comédienne Kilsoo.
Au cours de leur discussion, elles réalisent toutes les deux qu'elles ont le douloureux point commun de traverser une véritable crise créative, et qu'elles ont toutes les deux décidés de s'éloigner un temps - indéterminé - de leurs professions malgré les tentatives constantes, de véritables invectives déguisées en compliments superficielles, de ceux qui gravitent autour d'elles pour leur faire changer d'avis, induisant plus où moins explicitement que leur repos n'est qu'une perte de temps - puisque uniquement perçu extérieurement, et par l'industrie, par le prisme économique.
Une pause dans leur vie qui les unit aussi bien personnellement que professionnellement, Junhee confiant à l'actrice qu'elle rêverait de devenir réalisatrice et que leur rencontre n'a fait que confirmer se désir en elle.
Un film dont l'intérêt (très Sang-soo) réside dans sa simplicité et son manque total d'artificialité, une histoire totalement vissée sur ses personnages - mais ouverte à l'apparition de l'improvisé - et leurs émotions, à savoir Kilsoo et son mari, également artiste...

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Brisant à nouveau où presque, le quatrième mur dans une communication directe avec son auditoire, via un exercice méta-cinématographique et confessionnal captivant (dont les intentions narratives s'expriment au fur et à mesure que nous les regardons), Hong Sang-soo croque une merveille de drame à la double lecture délicieuse, tant il est à la fois un passionnant récit de découverte de soi/quête identitaire et littéraire dans lequel une romancière s'aperçoit, sans surprise, qu'elle a perdu la force d'écrire ainsi que l'intérêt pour sa propre sensibilité (et que toute tentative de répliquer cet élan exige désormais pour elle un excès d'affectation, une exagération formelle de sa passion qui l'amène finalement à se mentir à elle-même), mais aussi un matraquage en règle de toute l'hypocrisie d'une industrie artistique (et finalement surtout cinématographique) où seul le superficiel - l'économie - à de l'importance.
Une déconstruction délicate et affûtée des mécanismes artistiques, où comment l'impulsion peut se perdre autant que les ambitions, où comment une âme artistique peut se transformer où, potentiellement, se réaffirmer au gré du temps et de rencontres décisives.
Une merveille, rien de moins.
Jonathan Chevrier
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